Le Monde des livres, 16 février 2024, par François Angelier
Il fut un temps où les mots « épicier » et « épicerie », la noix de muscade et le clou de girofle, n’évoquaient pas tant le petit commerce, avec sa routine maussade et son gérant pointilleux, que la course au large, le merveilleux exotique et l’impérialisme colonial. Ce monde où l’épice-reine enfièvre le monde, où la figure de proue détrône la tête de gondole, Romain Bertrand y plonge à pleins bras, nous offrant une tonitruante évocation des gestes de Magellan (1480-1521) et d’Elcano (1487-1526) ; les premiers, entre 1519 et 1522, à « ceindre le monde » – à effectuer une circumnavigation. Sagas, certes, mais qu’on livre là débarbouillées de toute une mythologie super-héroïque, donnant toute sa part à l’énergie exploratrice et aux ripostes combatives des Asiatiques : « L’Histoire ne commence pas avec l’arrivée des Européens en Asie. Elle les y attend, un sourire narquois au coin des lèvres. »
Le Magellan que l’historien nous peint au couteau, archives en mains, n’est plus le gaillard inébranlable de la tradition, mais un Portugais de petite taille, traînant sa jambe droite tel un boulet, ingénieux navigateur mais cruel et sanguinaire maître du bord, mort d’un coup de lance sur l’île de Mactan. Un homme dont la vie culmine avec la découverte du cap qui portera son nom à l’extrême pointe de l’Amérique du Sud, point du globe qu’il nomme d’emblée, soulevé par la joie, « cap du désir ». « L’homme qui rejoint son désir, écrit Bertrand, l’homme qui donne à cela même qu’il convoite le nom de sa convoitise – et qui, pour finir, abolit entre son rêve et lui tout écart en baptisant à sa semblance un danger en forme de détroit… » Une ouverture en fanfare pour le nouvel habillage de la collection de poche des Éditions Verdier.