La Croix, 24 février 2024, par Élodie Maurot
Voilà un petit livre poignant, écrit dans un tremblement d’humanité. Née en 1958 à Moscou, Luba Jurgenson vit depuis 1975 à Paris, où elle enseigne la littérature russe à Sorbonne Université. Elle croyait y avoir trouvé définitivement un cocon de paix, avant que celui-ci n’explose dans la déflagration intime provoquée par l’invasion de l’Ukraine, la nuit du 24 février 2022. « Les frontières sont des animaux nocturnes, elles bougent pendant que nous dormons. Il faudrait toujours veiller », écrit-elle, se sentant chavirer sous le poids des souvenirs du totalitarisme soviétique que cette agression fait ressurgir.
Vice-présidente de l’association Memorial France – interdite en Russie par Poutine –, Luba Jurgenson fait partie de ces Russes démocrates qui, depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, sont soumis à une double peine. Son livre, dense et intense dans sa brièveté, interroge les signaux discrets qui témoignaient de la permanence du passé totalitaire dans la Russie de l’après-Pérestroïka et des préparatifs mentaux de l’offensive poutinienne. Il interroge la place de la langue et de la littérature dans la guerre comme dans la résistance à une brutalité sans frontières.