L’Humanité, 29 février 2024, par Alain Nicolas
Cathédrale à l’épreuve du feu
Qui a brûlé Saint-Fruscain, fierté millénaire de Pontorgueil ? Un roman incendiaire au cœur des turpitudes d’une petite ville sans histoires. Par Emmanuel Venet, auteur de Marcher droit, tourner en rond.
En fin d’après-midi, le 15 avril, la cathédrale prend feu. Pas celle dont on commémorera dans quelques jours l’incendie. Pas Notre- Dame de Paris, mais une cathédrale de papier, imaginée par Emmanuel Venet dans Contrefeu. Neuf ans jour pour jour avant le monument parisien, Saint-Fruscain, fierté de Pontorgueil, part en fumée.
Pourquoi ? Comment ? Les causes possibles du drame ne manquent pas. Crime d’un déséquilibré, négligence, incompétence, malversation dans le marché de la sécurité, ou tout simplement accident ? Plus sûrement la combinaison de plusieurs motifs. C’est le tableau de tous les « défauts mineurs » dont la « sommation » peut entraîner le pire, pour reprendre le langage des experts dépêchés après coup, qu’entreprend Emmanuel Venet.
Personne n’est tout à fait innocent à Pontorgueil
« Le premier incendie auquel fut confronté le père Philippe Ligné s’alluma dans sa culotte. » C’est à l’occasion d’un baptême qu’un coup d’œil sur les charmes d’une jeune mère, fort opportunément prénommée Marie-Ange, enflamma les sens de celui qui allait devenir évêque de Pontorgueil, et amant comblé de sa paroissienne. Faut-il voir là le péché originel source de tous les maux de ce diocèse et, dans la ruine de Saint-Fruscain, une punition divine ? Sans se prononcer, Emmanuel Venet mène son enquête.
Personne n’est tout à fait innocent à Pontorgueil. Ni le maire, Daniel Boulon, inoxydable partisan de l’« extrême centre », opportuniste par tradition familiale, artisan de toutes les combinaisons politiques et financières pourvu qu’elles soient profitables.
Ni son ami Alain Renard, affairiste multicarte, obtenteur de kyrielles de juteux marchés publics, dont celui de la sécurité incendie de la cathédrale. Ni leurs amis et partenaires du « Club Turgot » qui réunit les notables du coin. Même les vaincus ont leurs raisons, depuis le sacristain, Africain débouté du droit d’asile dépendant de la charité de l’évêché, jusqu’au fils toxico de Marie-Ange. Sans parler des avocats, notaires, psychiatres et ingénieurs, débordés, imposteurs ou incompétents.
Emmanuel Venet ne se contente pas de reprendre la tradition à la Simenon ou Clouzot du portrait au vitriol des hypocrisies d’une petite ville. Les chapitres qui se succèdent, sans qu’on comprenne tout de suite où il veut en venir, ont une valeur universelle. Écrits avec précision, habités par une passion pour les noms propres, le vocabulaire technique ou savant, ils enserrent cette fiction cruelle dans un jouissif brasier de mots, qui réchauffe et ravage.