L’Écho, 13 avril 2024, par Sophie Creuz
Caroline Lamarche célèbre les derniers mois de la vie d’une malade et d’une amitié, arrimées à la poésie.
Le pacte était le suivant : de part et d’autre de la maladie, Margarida l’amie alitée, isolée dans une unité de soins, et Caroline Lamarche, s’enverraient quotidiennement des poèmes. Manière de combattre la souffrance et l’incertain par la régularité de vers mesurés à l’aune d’une affection paisible, facilitée par la magie des smartphones.
Voix et vers caracolant au petit matin ou se laissant cueillir, frêles colchiques, dans le silence de la nuit. Apollinaire et la chimio, Verlaine et le chant du merle par-delà les bips-bips des machines stériles, font barrage, inspirés en cela par la vigueur du rossignol lançant ses trilles par-dessus les tranchées et les obus. Armes inégales qui n’auront pas suffi.
Caroline Lamarche tisse un chant à ce combat essentiel et dérisoire, celui de Margarida s’accrochant jusqu’au bout à « la consolation de la création », luttant en « petit soldat joyeux » ; et se tient au cœur d’une forêt bruissante, par la pensée, au chevet de son amie. Pessoa dans la besace au côté de l’œuf dur. Manière d’être au monde pour celle qui en est exclue. La poésie n’a pas intimidé la mort au point de la faire reculer mais elle lui a tenu la dragée haute. Et de quelle manière.
Caroline Lamarche orchestre avec intensité et retenue ce carnet de résistance arrimé à tout ce qui frémit, bourdonne, chante, résiste : la tendresse, la beauté, l’attention au vivant sous toutes ses formes et sous toutes les latitudes. Car le combat est le même. Ce souci d’autrui unissait aussi les deux amies ; réfugiés jetés sur les routes et brutalement enfermés par notre police, nature en péril, animaux en voie de disparition, saccages, dénis, partout où on l’on se tourne. Partout, sauf dans ces pages de célébrations et d’effrois, d’éloges à la fragilité, à la douceur et à la force du lien.
Rituels du quotidien
La qualité des échanges entre la marcheuse et la gisante, la pudeur attentive de Caroline Lamarche, son talent à ourler d’ombre un trait de lumière, gardent Margarida sur la rive.
Cher instant je te vois, démontre, et il le faut, que l’ordonnance simple des rituels du quotidien, met en joue, à chaque instant, la destruction, par l’anarchie d’une modernité agressive, qui affole jusqu’à nos cellules.
Aucune existence n’est perdue si quelqu’un l’entend, avec cette justesse d’oreille qui voit, autant qu’elle entend, et la sauve, pour l’insérer en médaillon, au cœur d’un poème célébrant la vie par-delà les abysses.