Le Monde des livres, 17 mai 2024, par Xavier Houssin
Feu à volonté
Le propre d’un incendie est de s’étendre rapidement. Et de tout ravager. À Pontorgueil, jolie cité tranquille du centre de la France, celui qui détruit, un jour de printemps 2010, la cathédrale Saint-Fruscain fiche vraiment le feu partout. Et dans les cendres apparaissent, bien noires, les turpitudes, les petites et grosses combines, les mesquineries, les lâchetés du gratin de la ville. À commencer par l’évêque, qui se consume dans une relation brûlante avec une paroissienne après s’être longtemps échauffé avec sa gouvernante alsacienne. On l’aura compris, c’est une joyeuse fable, bien féroce et bien grinçante, qu’imagine ici Emmanuel Venet. Il y a des notables d’« extrême centre », des promoteurs avides, des affairistes priapiques, des avocats, des experts, des psychiatres, tous plus ou moins douteux. Ajoutez à cela un fils de famille toxicomane, un punk à chien et un Africain demandeur d’asile faisant fonction de bedeau de la cathédrale, que l’on accuse très vite d’être le pyromane. Voilà qui évite de se pencher sur les responsabilités des uns et des autres, d’autant qu’à la place de l’édifice religieux on envisage de bâtir un centre commercial.
Quel enfer ! Venet s’offre ici une vraie psychanalyse du feu. Pas grand-chose à voir (quoique…) avec l’essai de Gaston Bachelard (Gallimard, 1938). Mais lui aussi pourrait mettre en épigraphe le vers du long poème de Paul Éluard, Confections (1930), qu’avait choisi le philosophe : « Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis. »