Le Soir, 15-16 février 2025, par Alain Lallemand

« Le nationalisme n’a pas d’avenir »

Quand avons-nous perdu l’idée d’une Europe postnationale unie dans la diversité culturelle ? Est-ce face aux assauts de la mondialisation que nous avons abandonné l’idéal d’une unification par un État européen qui dépasserait les nations (et n’aurait pas pour objectif de devenir lui-même une super-nation), et perdu de vue que cette idée avant-gardiste aurait, seule, l’envergure et l’ambition requise pour contrer les transformations à l’œuvre dans ce monde ? « Un retour dans ce qui n’a jamais existé n’est pas un avenir. Le nationalisme n’a pas d’avenir. » C’est ainsi que s’ouvre le nouveau texte de l’essayiste autrichien Robert Menasse, convaincu qu’il faut achever la maison Europe avant d’en critiquer le gros œuvre. Comment se fait-il qu’il n’existe toujours pas de passeport européen, et que les vieilles nations d’Europe continuent à rivaliser entre elles sur le terrain économique ? Menasse n’accuse pas Margaret Thatcher et son idée neurotoxique d’une Europe à la carte, émise lors de son discours de Bruges en 1988. Pour Menasse, la véritable rupture, c’est celle d’Angela Merkel, vingt-deux ans plus tard dans cette même ville de Bruges, lorsqu’elle a rétrogradé la Commission, placée sous l’autorité du Conseil. « Le concept de “coopération” a remplacé, depuis, celui d’“intégration”. » Et il met en garde : c’est cet aveuglement qui nous fait aujourd’hui applaudir le nationalisme héroïque des Ukrainiens, compréhensible et pourtant parfaitement contraire à l’esprit européen. Quant au « droit à l’autodétermination des peuples », il identifie que peuple et territoire, c’est le retour masqué à un discours d’exclusion et de haine. L’histoire indique d’autres voies. Menasse revient aux fondamentaux, l’autonomie personnelle développée sous l’empire des Habsbourg : un ensemble de nations liées par un seul État de droit commun, un marché commun, une administration commune et un Parlement commun. La coexistence, dans un seul État, sans oppositions nationales, de divers groupes linguistiques et leurs cultures. Le régionalisme serait ainsi subsidiaire : « Voir en l’Union un club d’États-nations pour suivant leurs intérêts nationaux ne pourra jamais déboucher sur l’indispensable politique communautaire. »