Le Monde des livres, 22 décembre 2024, par Jean-Louis Jeannelle

Le romanesque est cette disposition d’esprit consistant à vivre ses rêves et à rêver sa vie. Christophe Pradeau en tire un magnifique essai sur le « romanesque des lieux », cette émotion que procure le fait de parcourir des lieux autrefois habités par des personnages de fiction – le 221B Baker Street de Sherlock Holmes ou le village d’Illiers (Eure-et-Loir), visité avec ferveur par les lecteurs de Proust, qui y superposent le souvenir de Combray. Est-ce hallucination, fétichisme ou sensibilité littéraire ? Ne cherchons pas à démystifier les lecteurs : c’est de nous qu’il s’agit, nous qui éprouvons par là une « réalité de la littérature ». Déjà Sainte-Beuve s’étonnait que l’on montre « aux voyageurs, dans une des rues de Saumur, la maison d’Eugénie Grandet » (personnage éponyme du livre de Balzac). Pour les détracteurs du roman, de tels chevauchements entre fiction et réalité ne sont que divagations. Pradeau y reconnaît plutôt un effet de « résonance », certains lieux ou certains personnages suscitant en nous de subtiles vibrations : nous nous reconnaissons en eux au point « qu’ils nous semblent être les dépositaires d’une part de nous-mêmes ». Nous-mêmes en fiction, mais pour de vrai.