Le Berry républicain, 27 février 2025
Olivier Rolin dans le bleu de l’océan
Un amiral qui dirigeait l’École de guerre, à Paris, lui a proposé de rédiger la préface d’une réédition de La Guerre du Péloponnèse, de l’historien grec Thucydide. « Il n’avait pas d’argent pour me payer. En revanche, il pouvait me proposer un embarquement sur un bâtiment de la Marine nationale. Évidemment, c’était bien mieux. »
Un mois en mer
C’est le point de départ du nouveau livre d’Olivier Rolin, Vers les îles Éparses. Un court carnet de voyage, ébloui et drôle.
Les îles Éparses, ce sont des confettis, des cailloux dispersés dans l’océan Indien, autour de Madagascar. Des possessions françaises que le bateau, sur lequel embarque l’écrivain début 2022, ravitaille.
Sur ce navire où l’équipage a globalement moins de trente ans, Olivier Rolin incarne « l’étrange ». Parce qu’il est écrivain, mais aussi à cause de son âge. Il est né en 1947, et le thème de la vieillesse revient tout au long du récit. « Mon âge, j’en avais conscience, mais là, j’étais sous le regard constant de gens d’une autre génération, qui m’ont traité comme une chose fragile. C’est la première fois que ça m’arrivait. Ce n’était pas hostile, mais j’étais effaré. Pour moi, c’était une expérience un peu énervante et drôle. Depuis, j’ai encore vieilli ; pourtant, je ne me suis jamais plus retrouvé dans la situation d’être le vieux. »
L’étrangeté réduite, comme on le dit d’une fracture, l’écrivain dépeint avec admiration le capitaine du navire, qui garde une distance « mais qui me parle avec confiance. À vrai dire, je les aimais tous bien, sauf le cuistot qui était une brute ».
L’autre face de ce voyage, c’est l’éblouissement que provoque chez Olivier Rolin le spectacle de la nature. Une nature peuplée d’espèces inconnues, dont il décrit la loufoquerie des couleurs et des formes. « La nature là-bas est inouïe, on n’est plus habitué, en France. Même à la campagne – j’ai une maison en Bretagne – je ne vois pratiquement plus de papillons, il y a moins d’oiseaux. Le vivant est en train de disparaître dans l’indifférence. Quand on est sur ces bouts de terre, ça grouille. Ces endroits minuscules sont des concentrés de vie. On n’a pas envie que ça disparaisse. »
Effaré par la violence
Le périple d’un mois aurait pu rester à l’état de souvenirs. Pendant le voyage, l’écrivain prend des notes « tout le temps », dessine. « Quand je suis revenu au printemps 2022, je me suis dit qu’il n’y avait pas de matière suffisante pour faire un livre. Un an après, pendant l’été, j’ai relu ces carnets. Il y avait une légèreté, une drôlerie, bref, je me suis dit que finalement, c’était possible. » L’enthousiasme des éditions Verdier a fait le reste.
À vingt ans, Olivier Rolin était maoïste, militait à feu la Gauche prolétarienne. « Je suis très loin des convictions ignorantes que j’avais à l’époque, je suis devenu beaucoup plus pacifique. Je suis effaré qu’on puisse s’acheminer vers une nouvelle guerre mondiale. Je déplore la violence des rapports entre individus, alors que j’étais, à l’époque, un agent de la violence. Cet engagement m’a appris comment on peut devenir des brutes, des gens qui ne réfléchissent plus par eux-mêmes. Ça m’a appris, mieux qu’un livre d’histoire, ce qu’est la soumission à une idéologie. »
La littérature a, depuis longtemps dans sa vie, remplacé l’idéologie. Et s’il devait garder deux images de son périple dans l’océan Indien, « ce serait la diversité des bleus et des formes animales ». Il ajoute en riant : « Et le fait que je ne sois pas si vieux. »