Marianne, 27 mars 2025, par Matthieu Giroux
Journal d’un écrivain russe sous l’Occupation allemande
Les éditions Verdier traduisent pour la première fois en français Dans une bourgade paisible de France de l’écrivain russe Mikhaïl Ossorguine (1878-1942). Exilé en France, il a dû fuir Paris au moment de l’Occupation et a trouvé refuge à Chabris, village situé au niveau de la ligne de démarcation. En s’inspirant de Tolstoï et de Cervantès, il a mené depuis son nouveau fief une sorte de résistance spirituelle.
Mikhaïl Ossorguine a subi toutes les persécutions possibles de son temps. Après avoir participé à la révolution de 1905, il avait été contraint de s’exiler en Italie pour échapper à la police tsariste. Revenu en Russie après dix ans, en 1922, il en avait été expulsé par les bolcheviks, bien qu’il se soit montré enthousiaste à l’annonce de la révolution de 1917. Réfugié cette fois à Paris, il fut contraint, dès le début de l’Occupation allemande en 1940, de fuir la capitale sous la pression des nazis qui n’acceptaient pas ses opinions politiques… Voilà donc comment cet homme s’est retrouvé avec son épouse à Chabris, un paisible village situé dans le département de l’Indre au niveau de la ligne de démarcation.
Dès lors, comment un écrivain peut-il résister lorsqu’il est mis en retrait de la vie culturelle et réduit, pour ainsi dire, au statut d’ermite ? Ossorguine, sensible aux idéaux socialistes a commencé par fonder une nouvelle communauté. Sur un mode tolstoïen, tel Levine dans Guerre et Paix (1867), il a opéré un retour à la terre. « Des années durant, Ossorguine partagea ses activités agricoles avec ses compatriotes exilés à travers une série de vignettes publiées par la presse russe à Paris. La description minutieuse des plantations et des soins dispensés aux végétaux s’y mêle à la réflexion de l’auteur déraciné sur sa place dans le monde moderne », rappelle Leonid Livak, professeur de littérature russe, dans sa présentation.
Objet littéraire non identifié
Ossorguine se qualifiait lui-même de « Don Quichotte du potager ». Le titre de son ouvrage est par ailleurs tiré de l’incipit du chef-d’œuvre de Cervantès : « Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas longtemps, un hidalgo… » L’accomplissement de tâches simples et routinières, la solidarité avec les voisins et l’écriture sont une manière pour lui de faire face à la débâcle française et d’entretenir un sentiment de liberté.
Si Ossorguine a tenu à rester lié à la communauté russe de France, il ne se faisait plus d’illusion sur le destin de la Russie. Au moment du pacte germano-soviétique, il écrit : « Tous mes espoirs au sujet la nouvelle Russie se sont effondrés : c’est un pays d’esclaves et d’idiots […] Et je ne regrette plus de pouvoir jamais rentrer dans mon pays que j’aimais au point que mon cœur me faisait mal. »
Dans une bourgade paisible de France mêle, avec élégance, considérations philosophiques, descriptions les plus banales et surgissements d’événements inattendus. Ossorguine précise en ouverture : « Ce livre n’est pas un roman, ce n’est pas une chronique, ni un journal, ni de simples souvenirs. Ses pages furent écrites isolément sur des bouts de papier, sans la moindre intention de les réunir un jour dans un cahier. Une partie est restée dans un carton, une partie s’est perdue dans les bureaux de poste de différentes villes de France, sans espoir d’arriver à destination, peut-être détruite ou incendiée, une partie a traversé l’océan par les airs et été conservée entre des mains amies. » Cet objet littéraire non identifié est pourtant une grande réussite !