Le Figaro, 28 mars 2025, par Alice Develey

Aimer, vivre, rêver

Un homme se réveille. Il est en robe de chambre, transi. À côté de lui, un infirmier l’observe. Où est-il ? Un moteur vrombit. Il est dans une ambulance. Que s’est-il passé ? Sa poitrine est de plomb. Il ne sent plus ses jambes. Ses yeux se closent. Meurt-il ? Non, le voici dans une salle de soins. Une docteur lui prend la main. Il a peur, ses larmes coulent. « Quand mes paupières se ferment, je pense : Elena. »

L’homme qui tremble est écrivain. Après un malaise cardiaque, il a été hospitalisé. Il est devenu un patient parmi d’autres patients. « Hors d’ici, (les gens) dorment dans leurs lits, ne se doutent de rien. Il y a peu encore, j’étais des leurs. C’est curieux comme le vide se referme vite. » Les phrases se bousculent. L’auteur a passé sa vie à fuir et le voici désormais prisonnier de son corps. Enfin non. Ses pensées vagabondent, il rêve, il se souvient. « Aux malades, que reste-t-il hors le souvenir ? » Commence alors un bouleversant monologue qui nous mène d’une chambre blanche aux geysers de Stockholm en passant par les cafés de Syracuse et les ruelles de Tunis.

L’Autrichien Wolfgang Hermann a beaucoup de tendresse pour son personnage. Ses mots sont doux, réconfortants, presque ouateux. Le passé devient un refuge dans lequel se love l’écrivain. Il revoit ses parents, son fils et sa femme Elena, son frère disparu… Ses phrases lumineuses se fraient un chemin dans les ténèbres de ses pensées. L’amour avec cette inconnue, la contemplation des tableaux de son aîné… Il se balade dans les couleurs, les éclats, les images de ses souvenirs. Et puis, il se rappelle sa douleur au cœur, ses élancements dans le bras gauche, la fièvre…La mort revient avec son cortège d’êtres aimés et disparus. Délire-t-il donc ? Il faut lire Paysage de fuite pour la poésie de ses mots magnifiquement traduits par Olivier Le Lay. Un beau texte sur la conscience heureuse et fragile de l’existence.