Le Matricule des anges, avril 2025, par Thierry Cecille
Rude duo
Le 18 mai 1938, deux adolescents quittent leur patrie – l’Allemagne – et leurs parents – juifs – pour fuir la menace nazie. D’abord réfugiés en Italie durant quelques mois, ils parviennent en France en mars 1939 : une riche cousine leur a trouvé un pensionnat, près de Chambéry. L’un est Georges-Arthur Goldschmidt et l’autre son frère. « Erich s’assit sur le lit et se mit à pleurer comme jamais Jürgen-Arthur ne t’avait entendu pleurer, avec des sanglots qui déchiraient le cœur, de plus en plus désespérément. Les larmes coulaient sur ses joues, la désolation lui défigurait le visage. C’était comme s’il s’expulsait de lui-même, comme si le chagrin s’était entassé en lui de jour en jour jusqu’à cet instant. » Autour de cet événement crucial, remontant en amont vers ce qui l’a causé et descendant en aval vers ce qu’il a provoqué dans ces deux existences, Georges-Arthur Goldschmidt nous offre un diptyque surprenant et riche. L’Après-exil constitue surtout une sorte de méditation sur des thèmes liés à l’exil, la mémoire, « le monde interdit » de l’enfance perdue, la « géographie intérieure ». L’interrogation sur la langue domine : le français, « langue du salut », et l’allemand, devenu « langue meurtrière » mais que l’écrivain va s’acharner, en quelque sorte, à récupérer.
Le Chemin barré, lui, est, ainsi que l’indique le sous-titre, le « roman du frère » : le récit reprend des épisodes semblables mais change de point de vue, tente de comprendre comment Erich, le frère aîné, a pu les vivre. li retrace ensuite sa trajectoire : rejoignant le maquis, il choisit la Résistance, puis, après la guerre, la carrière militaire. Mais durant toute son existence, « il vivait à côté de lui-même ». L’exil durera toujours : « Il y avait en lui ce vide que rien ne comblerait et que le départ creuserait à jamais. »