Les Inrockuptibles, 3 mai 2025, par Nelly Kaprièlian

Laure Murat défend Miss Marple

Dans Toutes les époques sont dégueulasses, ce n’est pas tant que Laure Murat, écrivaine qui enseigne aux États-Unis, s’avoue fan de cette charmante vieille dame qui mène l’enquête entre deux scones ; c’est surtout qu’elle parvient à démontrer haut et fort, avec des arguments inattaquables, l’étendue des dommages que causera la « falsification » de certains textes d’Agatha Christie, de Ian Fleming ou de Roald Dahl lancée par une poignée d’éditeurs il y a deux ans, en Angleterre et aux États-Unis.

La raison avancée : éviter que le jeune lectorat ne se retrouve dans une situation qui heurterait sa sensibilité – comme si la vie et la culture devaient être un coussin douillet sous lequel on cacherait racisme et misogynie, sans pour autant les éradiquer. Laure Murat dénonce d’abord le choix aléatoire, donc absurde, de ces changements :pourquoi, dans un Marple, remplacer le mot « natif » par « local » ? Enfin, elle pointe la vraie gravité de ce « caviardage » : « accoucher à terme d’un mensonge historique ». « Car éliminer ce qui gêne aujourd’hui au motif que cela nous offense, c’est priver les opprimés de leur oppression. Faites de James Bond un féministe ou un homme respectueux des femmes, et dans cinquante ans, on ne comprendra plus rien à l’histoire de la misogynie ordinaire dans les années cinquante. » D’autant plus dégueulasse que ces décisions ont été prises avant tout pour des questions de gros sous, même pas par conviction.