Le Monde, 25 mai 2025, par Philippe Bernard
[…] Dans un essai vif et subtil publié sous le titre Toutes les époques sont dégueulasses (Verdier), l’historienne Laure Murat remet de l’ordre dans le fourre-tout de la « cancel culture » : « De même que je crois qu’il est souhaitable de déboulonner certaines statues de leur socle (au sens propre) dans l’espace public, je suis très opposée à leur destruction. Car éliminer ce qui gêne aujourd’hui au motif que cela nous offense, c’est priver les opprimés de l’histoire de leur oppression. » Après avoir enseigné en Californie, l’autrice a choisi de rentrer en France après la réélection de Donald Trump à la Maison Blanche, dont elle souligne l’inquiétante politique de « censure d’État », autrement dit d’effacement de milliers de livres et sujets d’études, véritable « cancel culture » en action.
Cela n’empêche pas cette spécialiste de la littérature française de dénoncer la « réécriture » bien pensante et édulcorante des livres classiques – qu’elle distingue de leur réinvention sous une forme nouvelle. « Faites de James Bond un féministe ou seulement un homme respectueux des femmes, écrit-elle, et, dans cinquante ans, on ne comprendra plus rien à l’histoire de la misogynie ordinaire dans les années 1950. » Autrement dit, tirer les leçons des « sales périodes » de notre histoire et des aveuglements du passé suppose d’examiner les souvenirs gênants, pas de les effacer. […]