Télérama, 28 mai 2025, par Nathalie Crom
Dans le prolongement de Qui annule quoi ? (Le Seuil, 2022), éclairante réflexion sur ce qu’il est convenu d’appeler la « cancel culture », Laure Murat nous propose, dans Toutes les époques sont dégueulasses, de penser en sa compagnie une autre question, liée à la précédente, et comme elle épineuse : «Que faire avec des œuvres populaires mais qui ne répondent plus à nos critères et diffusent des stéréotypes dont il est plus que jamais urgent de se débarrasser ? » Agatha Christie, Ian Fleming et James Bond, Roald Dahl sont les cas d’école les plus célèbres, récemment offerts par l’actualité éditoriale, d’« actualisation supposément nécessaire d’œuvres [du passé] jugées moralement problématiques ». Mais remanier ces textes fameux afin d’y gommer les stigmates lexicaux d’antisémitisme, de racisme, de sexisme, d’homophobie, etc., qu’y ont imprimés leurs auteurs est-il une solution ? évidemment non, répond l’essayiste, étayant peu à peu cette position au fil d’une démonstration brillante et d’une belle clarté, qui met au jour les impasses de ces « récritures » – terme par lequel elle désigne ces rectifications cosmétiques, qu’elle distingue de la « réécriture », geste créatif consistant à produire une œuvre originale à partir d’une œuvre originelle, en pointe les motivations souvent mercantiles plus qu’éthiques. Et en souligne l’effet pervers : « éliminer ce qui gêne aujourd’hui au motif que cela nous offense, c’est priver les opprimés de l’histoire de leur oppression ».