Études, juin 2025, par Philippe Ribéreau-Gayon
Jan Patočka (1907-1977) est un philosophe tchécoslovaque majeur qui prolonge la phénoménologie d’Edmund Husserl et de Martin Heidegger, un mouvement philosophique qui s’intéresse moins aux choses elles-mêmes qu’à la façon dont elles se manifestent. Signataire, avec Václav Havel (1936-2011), de la Charte 77 exigeant le respect des droits humains, Patočka fut persécuté par le régime communiste jusqu’à mourir des suites d’un violent interrogatoire de police. Ce livre est la retranscription d’une série de onze conférences clandestines données par le philosophe en 1973, juste après sa mise à la retraite forcée de l’université. Sa question centrale est : « En quoi consiste l’essence de la civilisation européenne, qui a façonné le monde moderne ? » Il s’efforce de montrer que l’Europe n’est pas un concept d’ordre géographique, économique ou politique, mais un projet de nature spirituelle : depuis la naissance de la philosophie avec Socrate et Platon, l’Europe se caractérise fondamentalement par « le soin de l’âme », c’est-à-dire une méditation sur le fait à la fois banal et étonnant que le monde se manifeste à nous, sur la vie juste au sein d’une communauté et sur la finitude de notre existence duelle. L’Europe moderne est entrée en déclin en oubliant son projet fondateur au profit d’une domination scientifique et technique du monde, qui a abouti à cette autodestruction que furent les deux guerres mondiales. La civilisation européenne doit sortir de son désespoir et se régénérer en se rappelant enfin sa vocation spirituelle originelle.