La Tribune dimanche, 15 juin 2025, par Philippe Ridet

En croisière avec Rolin

Mieux vaut tard… Lorsqu’au début de 2022 Olivier Rolin embarque à bord du Champlain, bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer, « trapu et teigneux » naviguant dans l’océan Indien, il va sur ses 75 ans. Alors que nombre de ses contemporains se lamentent sur l’air de « la vieillesse est un naufrage », l’écrivain-voyageur, lui, fait son sac. Rappeler l’âge de l’auteur au prétexte de recenser son ouvrage n’est pas très élégant mais c’est bien d’âge, le sien, celui du capitaine et de l’équipage, qu’il est question dans ce court et ironique dans compte rendu de voyage. Et, puis c’est lui qui a commencé ! Dès la page 14, Rolin évoque sa « vétusté », son apparence de « vieille chose » dont on se demande s’il saura « supporter les mouvements du bateau sans se casser le col du fémur ». Il enfonce le clou ? Cherche-t-il notre apitoiement ou notre sourire ? « Ce n’est pas seulement vers les îles Éparses que je navigue mais vers l’état déplorable et un peu ridicule de vieux. Jamais encore […] je n’ai éprouvé à ce point que je faisais partie d’un autre monde. » Tout ça parce que les Éditions de l’École de guerre, qui ne pouvaient lui payer sa préface à l’Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide, historien grec du IVe siècle avant notre ère, a décidé de payer ses travaux en nature. Chic, un voyage du plus ! a pensé Rolin, prix Femina pour Port Soudan (1994). Vite il déchante. Ça, une récompense ? Une couchette inconfortable, des heures d’ennui, une compagnie de gamins qui pourraient être les siens… Et même pas une goutte de rhum ! Dès lors le pitch est tout trouvé. Notre auteur survivra-t-il à ce périple ? Un mois de traversée pépère de l’île de la Réunion, point de départ, à Mayotte, point d’arrivée, en passant par Durban jusqu’à ces fameuses îles Éparses dans le canal du Mozambique, où la France entretient l’idée de sa grandeur, des militaires et des scientifiques qui comptent les tortues.

Inutile de faire durer le suspense. Malgré son grand âge, l’écrivain parviendra à bon port sain et sauf. Armé d’ironie et d’un humour aussi solide que sa connaissance de la mer, il donnera au passage cette leçon d’écriture à l’usage des gens sérieux : « Qu’est-ce qu’écrire sinon ça, imaginer, gloser, reconstituer, déformer, ironiser, faire le malin en somme ? » Encore faut-il savoir le faire.