Télérama, 13 novembre 2025, par François Ekchajzer

Une historienne a rarement l’occasion de quitter ses archives pour assister à l’événement qu’elle a pris pour sujet. Invitée à suivre le procès des attentats du 13 novembre 2015, Sylvie Lindeperg en a vécu le déroulement aux côtés de juristes, politistes, sociologues et anthropologues du droit. De ce voyage « sans carte ni boussole » dans « l’arène du “très contemporain” », elle a tiré un essai des plus riches, qui interroge le caractère prétendument « historique » de ce moment judiciaire, comme la stratégie mise en œuvre par l’accusation et le verdict rendu au terme de dix mois de débats. Mais ce sont surtout la scénographie et la mise en images de ce procès hors norme qui lui inspirent ses analyses les plus pénétrantes.

Filmé à des fins archivistiques dans le cadre de la loi Badinter de juillet 1985, « V13 » le fut aussi pour permettre une retransmission en direct de l’audience, à destination d’un public trop nombreux pour ne pas être réparti dans des salles annexes. « Le choix d’utiliser les mêmes images pour ces fonctions distinctes donna [à ceux-ci] un accès immédiat à des archives interdites [et] les priva, à rebours, d’une retransmission plus libre dans ses formes. » Analysant le dispositif de tournage, les choix de cadrage et de montage retenus, Sylvie Lindeperg bat en brèche l’idée commune de simple captation, pour mettre en évidence la part de mise en scène induite par ces multiples décisions et en tirer les conséquences. Ce faisant, elle inscrit son essai dans la filiation de ses travaux passés sur le procès Eichmann et sur celui de Nuremberg, sujet d’un de ses derniers livres, d’une dimension intimidante. Plus ramassé, Archéologie d’un procès la montre tout aussi adroite à associer, à la finesse de l’analyse, la vigueur d’une pensée critique affranchie des paresses médiatiques, qui en rend la lecture particulièrement stimulante.