Le Journal du yoga, novembre décembre 2025, par Laëtitia Favro
Respirer ensemble
Pour respirer il faut de l’air, mais il faut surtout une qualité de liens, de paysages, d’avenirs, beaucoup d’autres personnes avec qui respirer, en qui espérer, et qui puissent se respirer en vous. Tout un monde en vérité. Car respirer n’est seulement maintenir son souffle, nourrir son organisme comme s’il vivait d’une petite vie séparée. C’est participer à ce qui existe et de ce qui existe ; prendre l’air (celui qu’il y a), le laisser rentrer, poreux et nés troués comme nous le sommes tous ; le rendre, expirer, le redonner changé au monde commun. Prendre part au vivre tout entier donc, y contribuer. Mieux (ou pire) s’y compromettre, dans un échange qui tient serrés les fils nouant les corps à l’état réel des milieux de vie. La respiration, c’est le contraire exact, et suffisant, de la séparation. (p. 13)
À la respiration, c’est vrai, il faut tout un monde. Respirer c’est éprouver que l’on doit le fonctionnement de son organisme à beaucoup d’autres, qui nous doivent à leur tour. Nous respirons le dehors et le dehors respire, nous respire et se respire en nous. Ce n’est pas seulement que l’air pénètre le corps et en ressorte, et que le monde ainsi nous traverse, passant aux sas de chacun ; c’est que la vie chimique tout entière repose sur ce métabolisme bien plus grand que chacun des corps qui y prend part, qui prend sa part.
L’air que les corps respirent « n’est pas qu’une réalité purement géologique et minérale » (Emanuele Coccia), c’est le résultat de l’expiration d’autres vivants – leur exhalaison, leurs déchets. Chacun prend le monde et le rend, mord dans l’air et le recrache, dans une sorte de compost atmosphérique (p. 48).