Armand Gatti
L’enfant-rat
L’Enfant-rat n’est pas la première pièce écrite par Gatti. Son écriture, sa construction – et particulièrement ces « Évangiles » par lesquels chaque personnage développe sa propre version de l’histoire (la dramaturgie naissant alors de la confrontation de ces vérités) – tout cela témoigne déjà d’un accomplissement, d’une mise en œuvre solidement élaborée de ce qu’on appellera plus tard « théâtre éclaté ».
Et pourtant cette pièce est première. Parce qu’elle est le premier aboutissement d’une obsession qui n’a cessé de hanter Gatti depuis la fin de la guerre : rendre compte de l’expérience majeure de sa vie (et de ce siècle), le camp de concentration.
Résistant ; arrêté ; condamné à mort puis gracié ; puis déporté dans un camp au bord de la Baltique ; puis évadé ; puis engagé dans les parachutistes britanniques pour ce qui sera, en Hollande, parmi les plus durs combats de la Libération ; à la fin de la guerre Gatti se lance dans le journalisme. Le jour, il court les salles des tribunaux. Fait enquête sur enquête. Mais la nuit, il redescend dans le camp. Il écrit Bas-relief pour un décapité. Une œuvre (roman ? poème ?) dont il ne reste que quelques pages. Pour tenter de conjurer les démons du camp. En vain. L’Enfant-rat porte l’empreinte vive de cet échec comme de l’impossibilité de faire taire la voix qui, obstinément, convoque l’ancien concentrationnaire sur la place des appels du camp.
Sur cette place des appels, il n’y a plus d’hommes. Que des chiffres. Des matricules. DansL’enfant-rat aussi. Chaque personnage est un chiffre. Mais c’est pour tenter d’inverser les signes de la défaite. Ce qui dans le camp niait chaque existence devient dans la pièce possibilité d’existences multiples.