Le Soir (Bruxelles), 17 novembre 1999, par Pierre Maury
Le passé comme un boomerang
Le personnage en fuite est un classique du roman noir. Il pose la question de savoir s’il échappera à ce qui le poursuit. Dans La Repentie, Didier Daeninckx, comme d’autres avant lui, ajoute une autre interrogation à la première : que fuit Brigitte ? Rebaptisée Isabelle par la grâce (?) des faux papiers offerts en même temps que la liberté à sa sortie de prison, on ne sait qu’une chose de son passé : elle est ce qu’on appelle une « donneuse », mot lâché comme une gifle qu’elle ne parvient pas à éviter tout à fait.
Le premier train sera le bon. La voici à Saint-Nazaire, à éplucher des petites annonces pour trouver du travail. Puis au restaurant des Panoramas, où elle est engagée comme serveuse, sur son physique – dont le patron, Félix, se réjouit de profiter un jour – plutôt que sur son expérience – elle n’en a aucune, et cela se voit tout de suite.
Isabelle a rencontré Stellio qui travaille dans le port au renflouage d’un bateau. Lui aussi est poursuivi par une histoire du passé, un accident de travail dont il se sent responsable et qui fait de lui un porte-guigne. Comme si les blessures d’avant, celles du moins dont les traces sont encore visibles, infléchissaient leurs destins pour les rapprocher. Les mystères d’Isabelle sont plus profonds, plus douloureux encore. Sa blessure n’est pas fermée et chaque rappel est un couteau qui la fouille avec cruauté. Ainsi, quand Félix (qui s’est discrètement renseigné) l’appelle par son vrai prénom, Brigitte, c’est la panique. La fragile reconstruction d’identité dont elle avait bénéficié n’aura été qu’un paravent bien léger…
Didier Daeninckx, qui aime les marges de la société et ses exclus sous toutes les formes, s’attache ici moins aux faits qui les ont menés là – encore qu’ils existent et que nous les connaîtrons – qu’à ce qu’on peut devenir après. Sachant qu’« après » n’est jamais vraiment détaché d’« avant ».
C’est tout le problème, d’ailleurs, qui conduit Isabelle et Stellio sur les routes du Midi, sur les routes d’un danger jusque-là resté flou…