Ouest France, 27 octobre 1999, par Pierre Bigot
Terminus de la ligne et de la vie
Le dernier roman de Daeninckx a pour cadre Saint-Nazaire et la Presqu’île.
Pratiquement toute l’intrigue de La Repentie, le dernier roman noir de Didier Daeninckx, se déroule dans des paysages familiers au lecteur de la région. L’errance, entre Saint-Nazaire et presqu’île guérandaise de deux personnages désespérés, victimes de leurs rêves et d’un destin rancunier.
Avec La Repentie, Didier Daeninckx signe l’une de ces haletantes nouvelles psychologico-policières dont il a le secret, qui vous happe dès la première ligne et qu’on ne peut abandonner qu’à la dernière. L’ancien ouvrier imprimeur reconverti dans le roman noir y raconte l’histoire tragique et fulgurante d’un homme et d’une femme à la dérive que le hasard a mis en présence. Lorsqu’elle débarque un beau matin à la gare de Saint-Nazaire, Brigitte, sortie le matin même de la prison de Fleury-Mérogis, traîne avec elle un lourd passé, qu’elle a enfoui au plus profond d’elle-même. Et qu’elle cherche à fuir en s’engouffrant dans le premier train en partance à Montparnasse. C’est là, sur les bords de l’estuaire, qu’elle fait la rencontre de Stellio, un plongeur professionnel, son double masculin, échoué là pour tenter d’oublier sa responsabilité dans la mort accidentelle de l’un de ses collègues, quelques années auparavant. Mais le passé a la mémoire longue et la rancune tenace et les mâchoires de son piège vont se refermer, pour les broyer, sur ces deux êtres privés de projets et d’avenir.
Saint-Nazaire et la Presqu’île guérandaise servent de cadre aux amours impossibles de ces deux personnages victimes expiatoires d’un destin qu’ils ont cru pouvoir un jour refaçonner. C’est une région que Daeninckx connaît bien pour y être venu à plusieurs reprises à l’occasion des défunts Festivals Délit d’encre. Et qu’il décrit avec justesse et précision au fil des pages de ce court récit. Dans ses promenades sur le port, dans ses rencontres avec les habitants, ses conversations avec les ouvriers de la navale, il a accumulé une foule d’observations, une quantité d’informations qui donnent épaisseur et densité à la glissade fatale de ses deux héros. Stellio, il en fait un enfant de Saint-Nazaire, parti très jeune tenter l’aventure parce qu’« à Saint-Nazaire, quand on est môme, on a l’impression que tout est gris, jusqu’à l’horizon, et on crève d’envie d’aller voir derrière la ligne si c’est par là qu’ils ont planqué les couleurs ». Et son père, soudeur aux Chantiers de Penhoët, « il a passé sa vie à construire des bateaux de rêve sur lesquels il n’a jamais navigué, ne serait-ce qu’une heure… Il suivait leur route sur un atlas, à la maison et il connaissait toutes les escales, les noms des ports ». Le lecteur se balade ainsi dans des lieux qu’il connaît bien, traverse des paysages qu’il peut reconnaître, rencontre des personnages qu’il pense pouvoir identifier. Le morceau de bravoure étant la description minutieuse du renflouement de l’épave du Diamant, un chalutier coulé au large de La Baule, et qui rappelle que Daeninckx, avant de devenir écrivain à succès a longtemps exercé la noble profession de journaliste.