Le Monde, 10 juin 2005, par Patrick Kéchichian
L’univers sans limite d’un petit comté
Michèle Desbordes ne fait pas brutalement irruption dans l’histoire de ceux qu’elle choisit pour sujets de ses livres. Elle semble habiter auprès d’eux depuis longtemps, partager silencieusement, depuis toujours, leurs soucis, leurs douleurs, ou même leur folie. Léonard de Vinci dans La Demande, Camille Claudel dans La Robe bleue ou encore Friedrich Hölderlin dans Le temps qu’il marchait nous deviennent ainsi, par l’intensité et l’harmonie de son style, plus visibles. Non pas proches ou familiers mais sensibles, vivants, rendus à eux-mêmes. Et, pourtant, le propos de l’écrivain n’est pas de bousculer ou de démentir la connaissance que nous pouvons avoir de l’œuvre et du destin de ses personnages, d’y apporter ses propres correctifs. D’ailleurs, elle est économe en anecdotes, en détails ; encore plus en interprétations. Car il est urgent d’aller à l’essentiel. À ce que la littérature peut connaître, ou plutôt apprendre, de cette essence.
En très peu de pages, avec cette économie qui fait mieux ressortir la singularité de son écriture, Michèle Desbordes, dans Un été de glycine, visite un écrivain dont l’univers littéraire semble sans limite. Et cependant William Faulkner, puisque c’est de lui qu’il s’agit, comparait le fameux et mythique comté qu’il avait créé, Yoknapatawpha, à un « petit coin de terre natale, grand comme un timbre-poste ».
« Un jour je me suis bâti une maison dans l’Yoknapatawpha… » Puis la maison prend la dimension du comté, qui lui-même prend celle du monde. Faulkner est là, qui « n’en finit pas d’écrire » la longue litanie, pareille à un fleuve, des générations des « attentes et déceptions et ces recommencements si intolérables qu’ils en venaient, s’agissant de lignées, à évoquer la malédiction et les destins contraires ». Michèle Desbordes s’appuie sur quelques épisodes de la vie de l’auteur de Sanctuaire ; une vie où la gloire – il reçut le Nobel en 1949 – et le désespoir se conjuguent. « Ce livre n’a pas de fin… », est-il dit dans les dernières pages d’Un été de glycine. Comme n’ont pas de fin le chagrin et la douleur qui envahissent la vie de Faulkner. Chagrin et douleur qu’il porte à la puissance de l’œuvre à accomplir.