Le Nouvel Observateur, 28 février 2008, par Jérôme Garcin
Mourir d’aimer
Michèle Desbordes, l’auteur de L’Habituée et de La Robe bleue, est morte en janvier 2006, près de Beaugency, sur les bords de la Loire où elle était née, où elle avait vécu et où ses cendres furent dispersées. Dans une prose lente, ample et longue comme son fleuve, elle avait célébré Hölderlin, Vinci, Camille Claudel, Faulkner, et, se fût‑elle glissée derrière chacun de ses personnages, s’était bien appliquée à ne jamais parler d’elle. Il aura fallu qu’elle disparaisse pour apparaître, à la première personne, dans deux livres posthumes : L’Emprise, ce retour sur l’enfance blessée, et Les Petites Terres, où, malgré sa répugnance devant la confidence, elle revient vers l’homme qu’elle a aimé, comme Hölderlin, brisé, fit le voyage de Bordeaux à Nürtingen. Cet homme qui appelait Michèle Desbordes « ma petite » était écrivain et son aîné de 25 ans. Elle l’avait un jour quitté pour vivre, en Guadeloupe, un nouvel amour, mais ne l’avait jamais abandonné. C’est un récit plein de remords, d’être partie, d’avoir été « cruelle », de l’avoir vu pleurer en silence, d’être arrivée trop tard au Val‑de‑Grâce, et de n’avoir, avant de mourir elle-même, que cet ultime texte rhapsodique pour le sauver de l’oubli, où l’amnésie l’avait plongé. « Nous sommes là tous les deux encore un bout de temps. » À peine 120 pages. Une éternité.