Michel Jullien
Esquisse d’un pendu
Collection : Collection jaune
192 pages
16,00 €
Epub : 10,99 €
978-2-86432-709-7
janvier 2013
Rompant avec une tradition qui décrit l’atmosphère monacale des ateliers de copistes du Moyen Âge, ce roman met en scène un scribe très laïque, Raoulet d’Orléans – personnage réel, il fut l’un des copistes attitrés de Charles V –, bon vivant, hâbleur, peu chatouilleux sur les mystères de la religion.
Animant un atelier familial au cœur de Paris, actuelle rue Boutebrie, il a pourtant copié des bibles à tour de bras mais, incapable d’établir le silence et de se concentrer très longtemps sur ses rectangles de parchemin, il a pour habitude de fréquenter les tripots des barrières, ceux de Montfaucon notamment, le grand gibet de Paris.
Au-delà de l’intrigue qui se noue autour d’un mystérieux faussaire venu s’immiscer dans les commandes royales de Raoulet, ce roman en forme de parabole médiévale, restitue l’ombre de l’imprimerie qui plane sur le siècle et, au-delà, de l’avènement contemporain du numérique.
Au début des années 1370, Charles V passe commande à Raoulet d’Orléans de deux livres assez peu ordinaires, des codex prestigieux, très nouveaux : la première traduction en français des Politiques d’Aristote et les Grandes Chroniques de France, œuvre d’histoire narrant la succession des règnes jusqu’à celui de son commanditaire, Charles V le Sage en personne. (Et là encore, ces commandes sont réelles). Contrairement aux apparences, ces deux textes d’essence politique sont adverses. Ils ont 1 700 ans de différence, le livre d’Aristote est un outil de pensée universelle et de réflexion atemporelle tandis que les Chroniques constituent un écrit partial, frisant la propagande du règne de Charles, « médiatique » à sa façon comme le seront bientôt ceux des gazettes, des journaux, de la presse, un texte pré-moderne voué à être dépassé sitôt écrit. Lequel des deux écrits est le plus moderne ? Celui du nouvel Aristote ou celui du prince auteur de son règne ?
En cours de besogne, les manuscrits passent aux artisans enlumineurs et Raoulet d’Orléans a tôt fait de s’apercevoir que l’un d’eux, faussaire, contrefait son travail en sous-main, prépare une version pirate des Grandes Chroniques, destinée à être revendue en contrebande, contre l’autorité royale, sous le manteau. Alors Raoulet en vieux maître des lettres, bien qu’amuseur, fidèle à Charles V, mène son enquête ; elle aboutira à une pendaison au gibet de Montfaucon. De qui ? car il y a bien un pendu à la fin. Du faussaire, de Raoulet lui-même dépassé par son époque ?
En plongeant le lecteur dans l’univers du Moyen Âge, ce roman en forme de parabole met le doigt sur des notions on ne peut plus contemporaines :
– la préfiguration de la presse moderne, de l’accélération de l’information et de sa circulation dans la mesure où Raoulet prend conscience que les Chroniques de France, contrairement aux Politiques d’Aristote, sont capables de relater une forme nouvelle de l’Histoire, perçue en direct, s’approchant au plus près d’une narration du présent, d’une subite modernité, quitte à ce que la véracité soit enjolivée ;
– la contrefaçon, le plagiat, l’emprunt de l’information aboutissant à la déformation de ce qui est rendu public ;
Mais surtout :
– il restitue l’ombre de l’imprimerie planant sur le XIVe siècle finissant, la mort du codex que personne n’imaginait, le basculement dans l’ère du livre en papier produit par la machine plutôt que par la main. Que vaudra la pensée de l’Histoire dès lors qu’elle s’apprête à être livrée sous une forme plus démocratique, donnée en exemplaires illimités plutôt que figée dans un livre unique, commandé, produit et lu par ceux seuls qui l’ont voulu ?
– en filigrane, pour notre époque, les révolutions se répétant, ce récit évoque l’émergence du numérique et l’annonce de la disparition du livre de papier, comme cela advint après le brevet de plomb de Gutenberg. L’invention du livre de papier date de 600 ans, elle semble pendable de nos jours, le numérique est là, profitable. Q’importent les procédés matériels (codex, livre, numérique), le principal réside dans l’influence a priori secondaire mais décisive qu’impriment ces ruptures, ces progrès, ce renouvellement des moyens de lecture sur notre mode de pensée et sur la perception que l’on se fait de notre monde.
La Liberté, 6 avril 2013, par Alain Favarger
Le Journal de Saône-et-Loire, 10 avril 2013
Salon littéraire, mars 2013, par Dominique Vergnon
Tête de lecture, 6 février 2013, par Sandrine Brugot Maillard
Notes bibliographiques, février 2013
Blog de la Librairie Ptyx (Ixelles, Belgique), 26 janvier 2013, par Emmanuel Requette
Lettres de la Magdelaine, 20 janvier 2013, par Ronald Klapka
Blog de la Librairie Quai des Brumes (Strasbourg), 6 janvier 2013, par Sylvie
Le Monde des livres, 4 janvier 2013, par Éric Chevillard
Charybde 27 : le blog, janvier 2013, par Hugues Robert
1370, atelier laïque de copie et grand gibet de Montfaucon, dans une langue minutieuse et savoureuse« La Grande Table », par Caroline Broué, avec Patrick Boucheron, Dominique Cardon et Hervé Le Tellier, France Culture, mardi 14 mai 2013 de 12h à 12h30
« Un livre en cadeau pour vous, juste parce qu’on l’aime », par Christine Siméone, France Inter, jeudi 7 février 2013 à 18h
« La Fabrique de l’Histoire », table ronde des historiens, par Emmanuel Laurentin, France Culture, vendredi 4 janvier 2013 de 9h06 à 10h