Anna Barkova
Anna Alexandrovna Barkova (16 juillet 1901 – 29 avril 1976) naît à Ivanovo-Voznessensk ; son père est concierge du lycée où elle fait ses études.
En 1918 elle publie dans un journal local, La Contrée ouvrière, et dans des revues à Moscou.
En 1922 paraît son unique recueil de poésie, Femme, préfacé par Lounatcharski.
L’époque est rude. Barkova est une rebelle, ne sachant ni se taire, ni dire « oui » quand son cœur hurle « non ». En décembre 1934 elle est condamnée à cinq ans de camp. En 1939 elle est libérée et envoyée en relégation.
Pendant les années de guerre elle est transférée à Kalouga ; on ne sait rien de sa vie là-bas.
En 1947 elle est de nouveau arrêtée et condamnée à dix ans de camp de redressement par le travail. Sa peine est ramenée à neuf ans, qu’elle passe en république des Komis, d’abord à Inta, puis à Abez. C’est là que je la rencontre et que nous nous côtoyons.
Les fortes personnalités abondent dans ce camp, mais par sa liberté de pensée, par la force de son jugement, Barkova les dépasse toutes.
De taille moyenne, sans réelle beauté, elle plisse les paupières d’un air malicieux, ne lâche jamais sa cigarette, porte d’énormes bottes et un manteau beaucoup trop grand… Elle n’a aucun parent chez les « libres », et ne reçoit aucune aide. Mais elle ne se plaint jamais, elle résiste et garde son humour.
Libérée en 1956, Barkova revient à Moscou, où elle est froidement accueillie : échec de ses démarches pour l’obtention du droit de résidence dans la capitale, et pas de logement en vue. Hébergée par une amie, elle s’installe à Chterovka, près de Louga. Elle est réhabilitée.
L’une de ses proches fait chez elle des travaux de couture. Une cliente, gênée pour payer ou malhonnête, dénonce Barkova et son amie. D’autres personnes se portent « témoins » lors du jugement, attestent qu’elles « dénigraient la presse et la radio soviétiques ». Pour cent vingt roubles donc, dix ans de privation de liberté, en plus des précédentes.
En 1965 Anna Alexandrovna est réhabilitée et transférée dans une maison pour invalides à Potma, en Mordovie.
En 1967, grâce à l’intervention de Tvardovski et de Fédine, elle réintègre Moscou, où on lui accorde une pièce dans un appartement communautaire du boulevard Souvorov, et une retraite de soixante-quinze roubles attribuée par l’Aide aux Écrivains.
Tous les matins (« c’est comme aller au travail », disait-elle), elle se rend à la Maison du Livre, avenue Kalinine, et dépense toute sa pension. Sa chambre est remplie de livres. Le vieux frigidaire, donné, n’a jamais été branché : il sert d’armoire à livres.
Anna Alexandrovna propose ses poèmes à des revues moscovites, mais tous sont renvoyés avec la mention : « aucun enthousiasme, aucune soif de vivre ».
Malgré son caractère difficile, caustique, elle est très entourée, surtout par des jeunes.
Les poèmes d’Anna Alexandrovna sont difficiles à retrouver, beaucoup ont été perdus.
Combien de vers griffonnés de sa petite écriture sèche, pointue, combien de poèmes emportés dans les tourbillons du « vent russe » !
Qu’on ne l’oublie pas.
(Irina Ougrihova et Nadejda Zvesdotchetova)