Jérôme d’Astier
Les jours perdus
Collection : Collection jaune
96 pages
12,17 €
978-2-86432-223-8
avril 1995
La douceur s’éteint : une mère s’affaiblit et disparaît, sous les yeux d’un enfant. Au pensionnat, il découvre un nouvel amour.
Des années durant, ce souvenir fut une vérité silencieuse. Pour la restituer, l’adulte s’est efforcé de laisser parler le cœur d’autrefois. Sans rien ajouter à une vision chétive, entachée d’ombre et d’inconnu. Car l’enfance est à la fois fervente et négligente.
Nous avons vécu des mois dans le silence. Il ne fallait pas faire de bruit, à cause de la maladie de ma mère. J’avançais sur la pointe des pieds dans les parages de sa chambre. Nous fermions les portes avec douceur.
Plus tard, dans une boucherie, j’ai vu un poulet nourri au grain. Sa peau était toute jaune et la pitié a mis des larmes dans mes yeux. C’est que la peau de ma mère avait justement pris cette couleur.
Je me demandais si, moi aussi, une fois, la maladie me teindrait.
Dans ma prière du soir, sa guérison venait en premier. Elle maigrissait. Je fis tristement la découverte de ses os, car elle n’avait plus assez de chair pour les cacher. Adieu, chères courbes de son corps…
Quand je lui disais de manger, elle répondait en souriant. Sa faim était devenue menue. Je devinais ses membres, grêles comme des rameaux secs, sous la robe de chambre. Des veines saillaient à ses poignets. Elle manquait de force pour me serrer dans ses bras.
Sa chambre était pleine d’une odeur de médicament, épaisse et douce, opiacée. On la sentait sur elle, quand elle se promenait dans l’appartement. Un nuage l’enveloppait.
Elle ne devait plus la sentir, cette odeur faussement apaisante. Il y avait en elle quelque chose du parfum qui reste autour des roses mortes, des amas de pétales en train de sécher dans les coupes, au bord du pourrissement. On avait beau aérer, elle était toujours là, saturant les tissus et les tentures, qui continuaient de l’exhaler, quand même il n’y eût plus de remède.