Le Monde, 30 avril 2015, par Étienne Anheim
Les taux d’intérêt baissent, mais les refus de crédit augmentent. C’est que, comme le disent les banques, beaucoup de clients « n’offrent pas de garanties suffisantes ». Il ne leur manque pas que la richesse : également la capacité à inspirer confiance – ou le fait d’avoir ou de s’être fait un « nom » au sein de la communauté.
De ces « sans-nom », Giacomo Todeschini dessine la généalogie par l’étude précise des figures lexicales de l’exclusion entre Moyen Âge et époque moderne. Dans la théologie et le droit se fabriquent les catégories qui définissent l’espace de l’échange spirituel mais aussi matériel, au sein d’une communauté des fidèles dont les limites sont soigneusement fixées. Rester du bon côté de la barrière: tel devient l’enjeu majeur, pour le chrétien mais, aussi, pour le citoyen ou l’acteur économique. À travers l’usage de termes comme « infâme », « cruel »,« usurier», « avare », « concubine », « juif », « infidèle »,« travailleur » ou « inutile », l’historien montre que dans l’Église, l’égale dignité des êtres dissimule un mécanisme de hiérarchisation sociale qui s’étend ensuite au: monde des villes et des marchés.
Le Moyen Âge n’est pas ce temps rêvé d’une communauté organiquement soudée. Il est un laboratoire des inégalités et des identités fragiles, où s’élabore l’idée que la pauvreté involontaire est un déshonneur et où s’inventent les règles d’un jeu dans lequel ceux qui s’éloignent – ou qu’on éloigne – du centre de la société perdent en même temps l’accès aux richesses du ciel et de la terre.