Le Monde, 8 octobre 2015, par Avril Ventura
Hymne à la beauté masculine, les six récits qui composent ce recueil au lyrisme cru et puissant posent chacun à leur manière l’énigme insoluble du corps, tout à la fois limite et condition de notre liberté. Mais si la chair est en même temps le problème et la solution, le langage a également une fonction salutaire chez l’auteur : dire le corps et son insoutenable beauté est sans doute encore la meilleure façon de le sauver.
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Chez Mathieu Riboulet, le corps (masculin, toujours) est à la fois une limite et une infinité de possibles. Les six récits composant Lisières du corps déclinent ce paradoxe. Qu’il s’agisse d’un client en quête de plaisir dans un hammam, de deux acrobates effectuant leur numéro ou encore d’un jeune homme torse nu sur une photo, le corps, au départ vécu comme un empêchement en ce sens qu’il met une barrière entre soi et le monde, est aussi ce qui va permettre d’échapper à soi-même : le sexe, le sport, la drogue, sont autant de moyens temporaires de parvenir à sortir de soi, en faisant taire l’esprit. La chair ici est une question toujours en suspens, c’est une éternelle promesse : « On est touché et tout peut advenir. »
Tout, et en premier lieu la beauté : ainsi, chaque récit des Lisières du corps est l’occasion de descriptions comme autant de tableaux où le dessin du corps, sa courbure, ses pleins et ses déliés évoquant un paysage, côtoie la perfection. Splendeur parfaitement rendue par la beauté du style tant, dans la langue de l’auteur, la crudité n’en lève rien à la grâce. Pourtant, de la même manière qu’un tableau sans titre peut sembler inachevé, il y a toujours chez l’écrivain une absolue nécessité à nommer, tôt ou tard, le corps qu’il est en train de décrire. Si la pensée signifie bien « la mort du corps », le langage, lui, ne vient jamais s’opposer à la matérialité de la chair ; au contraire, il vient la valider, l’incarner. Car ce sont « les mots qui nous précisent » et « nos noms qui nous fondent, nous donnent plus d’épaisseur ».