Lire, octobre 2017, par William Irigoyen
Le chagrin et la pitié
La compassion, c’est bien ; la considération, c’est mieux. Une réflexion salutaire sur la justice.
C’était il y a deux ans. En septembre 2015, un camp de migrants était détruit à Paris. Il y avait été établi quelques mois plus tôt quai d’Austerlitz, en bord de Seine: « Bords en plein centre, bords internes de la ville (de la ville vécue, quotidienne, traversée, investie), bords de la visibilité, bords du temps, bords du droit », écrit l’historienne de la littérature Marielle Macé. Son insupportable présence pose, selon l’auteure, des questions philosophiques. Pouvons-nous nous contenter d’être dans la seule commisération ? Sommes-nous capables d’aller plus loin que la dénonciation de l’injustice pour faire corps avec ce et ceux qui nous dérangent? Poser le problème ainsi c’est appréhender une différence lexicale entre sidération et considération que l’auteur tente de nous expliquer dans Sidérer, considérer. « Le sujet de la sidération voit l’extraordinaire des campements », estime l’essayiste qui, quelques pages plus loin, précise l’enjeu : « Le sujet de la considération, lui, devrait regarder des situations, voir des vies, juger, tenter, braver, et travailler à se rapporter autrement à ceux auxquels il fait ainsi attention, et par les vies desquels il devrait aussi pouvoir être surpris. » Parce qu’il n’y a pas de « vies nues » ni de« vies sans qualité », aucune existence ne devrait être privée de droit. Considérer l’autre implique donc de faire non seulement preuve de compassion – « une pitié toute chrétienne pour la vie, pour sa vulnérabilité » mais aussi et surtout d’envisager « l’inégale distribution de la précarité », ce qui pose une question sociale, donc politique. La considération oblige ainsi à quitter le stade de l’observation pour entrer dans celui de l’action. Faire un peu plus sien le sort de l’autre, du moins s’en approcher, tenter de gommer la frontière entre le « eux » et le « nous ». En somme, ne pas faire seulement « acte de charité, mais de justice : il s’agit de réparer le tort subi par ceux que l’histoire expulse » – au bord de notre humanité.