La Revue des deux mondes, septembre 2021, par Isabelle Lortholary
Dans la vie comme dans les petites rues d’Hörbranz, Monsieur Faustini promène sa veste de complet comme une seconde peau, abordant les heures et les jours avec un tranquille fatalisme. Rencontres minuscules, vie minuscule et presque étriquée, tel est son quotidien près du lac de Constance. Pour autant Monsieur Faustini n’inspire pas la pitié, car tout donne matière à imagination et réflexion dans l’existence de ce retraité qui vit en compagnie de son chat et sous l’emprise de sa femme de ménage brise-tout. L’aventure est dans le rien et beaucoup dans la tête qui interprète, philosophie et fantasme. Une jeune coiffeuse aux doigts de fée si doux – dont le vieux coquin aimerait que ses mains ne quittent jamais sa tête pleine de shampoing – et le rendez-vous au salon devient épisode amoureux. « Ça ne se passera pas comme ça. Je ne baisserai pas pavillon avant d’avoir livré bataille », s’exhorte Monsieur Faustini quand l’ennui pointe son nez le dimanche matin. Ainsi un simple trajet en autocar pour se rendre à la ville voisine lui ouvre-t-il le champ immense des possibles, avec le projet (fou) de rendre visite à sa sœur en Suisse ; puis de boire un cocktail alcoolisé pour sceller cette intrépide décision de faire une valise et d’abandonner son veston. Tout prête à sourire, tout amène à penser dans les pérégrinations banales de cet anti-héros au cœur pur esquissé avec tendresse, provoquant ainsi l’empathie et l’enthousiasme, jamais la moquerie. C’est tout le talent de la prose de Wolfgang Hermann qui rappelle celle d’un Voltaire avec son Candide : en apparence légère et pourtant riche de sens. « On doit à la vérité d’écrire que Monsieur Faustini ne répugnait pas aux contacts humains », écrit-il à propos de ce personnage qui porte haut l’étendard d’une oisiveté élevée au rang d’art supérieur et dont les péripéties comiques et oniriques ont connu un tel succès en Allemagne qu’elles ont maintenant une suite (quatre autres courts romans des aventures de Monsieur Faustini ont déjà paru en Allemagne). Il paraît aussi qu’elles permirent à Wolfgang Hermann de retrouver le désir d’écrire après la mort de son fils de dix-sept ans, racontée dans Adieu sans fin (Verdier). On veut bien le croire.