Le Monde des livres, 3 septembre 2021, par Florence Bouchy
Les inadaptés
Les romans de filiation, sur les parents, en majorité, sont monnaie courante en période de rentrée littéraire. Il est plus rare qu’un écrivain s’intéresse aux branches secondaires de son arbre généalogique. Rebecca Gisler, pour son premier roman, choisit de faire ce pas de côté et s’attache à la figure de l’oncle. Que représente-t-il pour ses neveux, semble-t-elle se demander ? Le lien qui les unit est-il essentiel ? En la circonstance, l’homme est assez haut en couleur, difficile à vivre du fait d’un handicap mental dont on ne connaît pas précisément la nature. Il met volontiers à l’épreuve la patience de son neveu et de sa nièce. Sans doute faut-il qu’ils l’aiment beaucoup pour que, devenus de jeunes adultes aux professions précaires, ils réussissent à cohabiter avec lui durant quelques mois dans la maison familiale. Avec une précision d’entomologiste, de l’humour et une tendresse constante, que son style faussement débonnaire suggère sans trop l’appuyer, Rebecca Gisler étudie le comportement de ce quinquagénaire inadapté aux contraintes de l’âge adulte. Elle livre par là même un roman lucide sur le handicap et les liens familiaux, mais aussi sur l’époque contemporaine. Après tout, le frère qui envoie des fleurs à « sa petite amoureuse » espagnole mariée, et sa sœur, tout aussi dénuée d’attaches sociales et affectives, sont-ils vraiment plus adaptés que leur oncle aux contraintes d’une société productiviste ? Eux qui, pour gagner leur vie, sont devenus traducteurs de notices d’aliments pour animaux ?