Midi libre, 16 octobre 2021, entretien réalisé par par Gil Lorfèvre
« Après la mort de Christian, l’écriture m’a aidé à avancer »
L’écrivain-torero sort un nouveau livre intitulé La Bonne Distance. Il s’agit de courts récits dans lesquels, son frère, le célèbre torero Nimeño II, n’est jamais bien loin. Rencontre.
La feria des Vendanges fut un peu spéciale pour vous !
En effet ! Au début, il y a eu beaucoup de choses extrêmement émouvantes comme l’exposition consacrée à mon frère Christian, trente ans après sa disparition, les photos de lui apposées sur les grilles des arènes ou encore la sortie de mon quatrième livre qui n’était pas prévue aussi tôt… Il y a eu une conjonction de choses positives qui malheureusement ont été assombries par le décès de ma mère qui aurait eu cent ans cette année.
Votre mère avait-elle lu votre dernier livre ?
Non, mais je lui en avais parlé. Je lui racontais ce que j’écrivais.
Et était-elle fière de votre carrière d’écrivain ?
Nous sommes une famille où nous exprimons peu nos sentiments. Mais j’imagine qu’elle était contente. Seulement, nous n’en avons jamais parlé.
Quel regard portez-vous sur les hommages qui ont été rendus à votre frère décédé en novembre 1991 ?
Ces hommages sont un peu surprenants car les différentes initiatives ont été menées sans que j’intervienne et cela a pour moi une valeur sentimentale réelle que j’apprécie énormément. J’ai écrit un premier livre, Recouvre-le de lumière, dans l’urgence face au cataclysme qui venait de se produire dans ma vie. J’ai fait ce livre, en grande partie, pour qu’un jour ses enfants et ses petits-enfants sachent ce qu’a été la folie des toros telle que leur père et moi l’avons vécue.
L’écriture a-t-elle été à un moment donné un moyen aussi de faire votre deuil ?
Je reconnais que je dois beaucoup à l’écriture. Après la mort de Christian, les idées les plus morbides me sont passées par la tête. C’est vrai que l’écriture m’a aidé à réfléchir et surtout à avancer. Et si, avec le temps, j’ai réussi à écrire quatre livres, c’est parce qu’ils représentent chacun une étape différente de ma vie. Une étape importante.
Avec toujours cette impression de mélancolie…
Oui, c’est vrai ! Mais vous savez, je suis quelqu’un de triste (sourire).
S’il n’y avait pas eu l’accident et le décès de votre frère, seriez-vous quand même devenu écrivain ?
J’ai toujours écrit. Alors oui, j’aurais continué à écrire. Mais ce qui est certain, c’est que je n’aurais pas publié. La publication de mon premier livre, je l’ai mal vécue. Je ne trouvais pas ça convenable de vendre mon frère ! Mais quand on m’a expliqué que c’était un témoignage qui pourrait servir à d’autres personnes qu’à moi, j’ai dit d’accord. Les morts, c’est comme la pâte à modeler, on en fait ce qu’on veut ! On les fabrique, on les détruit, on les grandit… Moi, je voulais qu’il ne reste que mon frère ! C’est pour cela, qu’après sa mort, le fait qu’on lui érige une statue ne m’a ni consolé, ni fait plaisir. Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne suis pas le frère d’une statue… et je ne le serai jamais !
L’écriture vous a-t-elle permis de dire des choses à votre frère que vous ne lui auriez pas dites de son vivant ?
Non, car l’essentiel, nous nous le sommes dit en face-à-face. Du jour où je lui ai donné le biberon jusqu’à la dernière année de sa vie où il était obsédé par l’idée du suicide, nous nous sommes parlé. Et au cours des derniers mois, les grands sujets existentiels ont été longuement abordés. L’écriture n’a été, en fait, qu’un report parcellaire de ce que nous avons pu nous dire.
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Non. Il n’y a rien d’organisé, ni de cohérent (rire). Pour moi, la plus grande partie de l’écriture se fait dans la réflexion en marchant. Il m’est arrivé d’avoir des textes qui me sont arrivés entre le bas des jardins de la Fontaine et la tour Magne. Comme mon seul objectif est d’être compris, je fais en sorte que mes textes soient courts, qu’il n’y ait pas de zones floues et je les lis à haute voix jusqu’à ce qu’ils sortent de ma bouche pour aller dans l’oreille du lecteur. Entre mes textes et les lecteurs, il doit y avoir la largeur d’une table de bistrot.
Est-ce que Christian vous manque ?
Oui énormément ! Si ça n’avait pas été mon frère, c’est quelqu’un avec qui j’aurais aimé parler. Ce n’est pas une coquetterie, c’est le fond de ma pensée. Entre ses qualités et ses faiblesses, cela finissait par créer une harmonie qui aujourd’hui me manque.