Le Matricule des anges, avril 2022, par Gilles Magniont

C’est un essai où les idées communes sont prises à rebrousse-poil. Soit le mouvement dit social des Gilets jaunes, qui s’exercerait en réalité contre les mouvements sociaux, exprimant même la « destitution du peuple ». Point de départ : démocratie et république étant fondées sur la coïncidence des pouvoirs et des droits. Jean-Claude Milner voit cette coïncidence abîmée par la politique en temps de Covid (où divers droits sont suspendus) aussi bien que par les Gilets jaunes (qu’il décrit bien plus longuement) et leur « affirmation de pouvoir » qui « ne s’appuyait sur aucun droit spécifique ».

On peut s’intéresser à tel moment de sa démonstration (réflexions sur les Constitutions, l’élection présidentielle…), à condition d’oublier sur quoi elle repose : la part de réel observable, autorisant qu’on distingue l’affirmation d’un pouvoir nu. Question prestement réglée : le départ des revendications dirait l’absolue vérité des Gilets – « Tout conducteur de voiture est tenté de se prendre pour un potentat » –, qui n’occupent pas les ronds-points par hasard (« En le choisissant pour s’y retrouver, les Gilets jaunes proclamaient qu’à leurs propres yeux, ils n’existaient que par leur volant, leur levier de vitesse ou leur carburant »). Autre fait probant : le mouvement (dont les contempteurs mêmes déploraient le bavardage) est représenté ici comme « volontiers mutique », pris d’une « sorte d’aphasie », exerçant un « pouvoir sans phrases » : « Les Gilets jaunes en effet maîtrisaient mal le langage. » Le malaise intellectuel et moral du lecteur est à son comble, lui qui ne peut soupçonner que notre auteur et linguiste décide arbitrairement des contours du « langage articulé ». Et, devant ces lignes penchées sur les « humbles préférences » des manifestants et leur « image rétrécie » de la vie, qui ne peut évidemment imaginer que notre auteur et ex-maoïste se répande en préjugés de classe.