Lire – le Magazine littéraire, mai 2022, par Camille Thomine
Silhouettes coréennes
Quel fil inattendu peut donc relier un célèbre conte allemand du dix-neuvième siècle à un roman sud-coréen de 2010 ? En vendant son ombre, Peter Schlemihl se condamnait à perdre la compagnie des hommes. Chez Hwang Jungeun, au contraire, c’est suivre leur propre silhouette qui précipite les humains vers leur fin. Menacés par le surgissement de leurs ombres et la démolition du marché d’électronique où ils travaillent, Mujae et Eungyo apprennent à se connaître, entre souvenirs troublants et parties de badminton nocturnes. Mais d’autres ombres plus redoutables planent sur le monde moderne, qui ont pour nom pauvreté, mépris ou indifférence. Multiprimé à sa sortie, Cent ombres diffuse le charme inquiétant de cette jeune littérature coréenne, à laquelle appartiennent entre autres Gu Byeong-mo ou Guka Han [Le Jour où le désert est entré dans la ville, 2020], ici chargée de la traduction : scènes baignées d’étrangeté ou discrètement surnaturelles, figures mélancoliques ou fantomatiques, langue sobre et délicate, où la répétition entêtante de certains mots change imperceptiblement leur résonance pour ouvrir à une autre dimension.