Télérama, 30 avril 2022
« La première fois que je vis mon père vêtu en fille, j’avais sept ans. » Telle est la première phrase, lapidaire, de l’exceptionnel et hallucinant roman d’Anne Serre. Sur la même page, deux paragraphes après : « Maman était nue la plupart du temps. » « Tu n’as pas de pudeur, disait papa. » Où donc est-on ? Chez une aimante famille bourgeoise provinciale qui pratique avec allégresse l’inceste. Son époux indifférent lui préfère ses trois fillettes ? Qu’à cela ne tienne : la génitrice dénudée et littéraire qui avoue brûler constamment du « démon de l’amour » (et déteste quitter son logis) se console elle aussi dans les bras des trois petites sœurs. Apparemment ravies. Mais partageant volontiers leurs parents avec les habitués du pavillon, ce drôle d’endroit à la fois ordinaire et magique de la rue Alban-Berg… où la narratrice pourrait bien figurer l’animale Lulu qui inspira tant le compositeur. Par-delà bien et mal, ce conte noir réussit avec une délicatesse enchantée à éviter vulgarité et voyeurisme.