La Montagne, 6 mai 2022, par Muriel Mingau

Le charme de l’étrange

C’est un conte, un conte des temps modernes où le fantastique s’invite au cœur du monde actuel, urbanisé. Les personnages subissent un phénomène étrange. Leur ombre se lève. Ensuite, elle cherche à les posséder. Le mieux, c’est de tout faire pour que cela ne se produise pas car, alors, l’individu est en danger.

Hwang Jungeun dépeint ce phénomène comme une chose naturelle dans un décor citadin familier mais aussi un peu trop prégnant. Il a de ce fait quelque chose d’un peu angoissant. Cet ensemble est habile à créer la troublante impression d’une étrangeté.

Dans ce contexte, on découvre différents personnages, dont Mujae et Enguyo. Ils sont employés dans un supermarché de matériels électroniques. Menacé de démolition, ce supermarché est le symbole d’une société froide où l’individu dépend de l’aléa de lois mercantiles dont il ignore la logique. D’ailleurs, d’autres magasins d’électroniques dans d’autres quartiers disparaissent, au sens propre. Puis, ils réapparaissent mystérieusement.

Ces deux jeunes gens, Mujae et Enguyo, se côtoient. Se noue entre eux une complicité. Est-ce une amitié ou quelque chose de plus fort qui les attire l’un vers l’autre ? Qui sait ? Toujours est-il qu’ils ne cessent de se retrouver comme par hasard, de se fixer des rendez-vous sans enjeu particulier a priori. Ils vont manger une soupe, devisent, puis se séparent. Tout cela est très subtil, une sorte de marivaudage d’une extrême délicatesse.

Moments de grâce

Autour d’eux se présentent d’autres personnages, comme Monsieur Yeo ou Monsieur Park. Ces figures étonnantes vivent dans leur monde, sans se soucier de l’autre, celui qui démolit. Parfois à la limite de la marginalité, ils sont attachants dans leur façon inconsciente de résister à la froideur d’un environnement insidieusement hostile.

L’autrice pose un très beau regard sur ses personnages, un regard doux et tendre. Elle leur offre aussi des moments de grâce, cette forme de résistance naturelle que sait proposer la vie. La fine poésie de ces pages tient à une mélancolie qui les traverse. Elle imprègne ce monde incompréhensible où les personnages sont condamnés à errer. Nous les suivons, guidés ici par le charme de l’étrange.