La Provence, 25 septembre 2022

Dans Marseille devenue Mahashima

Le Pas de la Demi-Lune de David Bosc est sélectionné pour le prix Giono présidé par l’Aixoise Paule Constant. On y découvre Marseille mâtinée de récits japonais.

Une catastrophe a eu lieu. On en percevra les principaux contours par bribes, au fil d’un récit où les lieux demeurent un mélange entre le Japon et Marseille rebaptisée ici Mahashima. Legudo, ce sont les Goudes. Et Manosque se dit Manoska. Les collines n’ont pas beaucoup changé. Elles sentent le thym, respirent la garrigue et sont décrites non de manière naturaliste mais avec une certaine densité tragique comme le ferait Giono dans son approche d’une Provence dure, sombre, porteuse de drames. Déroutant, Le Pas de la Demi-Lune de David Bosc oscille entre réalisme et poésie en fixant sa narration sur un certain Ryoshu qui dans cette Mahashima, longtemps capitale d’un royaume sans importance, mesure désormais son bonheur de vivre heureux dans une ville heureuse habitée uniquement par des prolétaires. Chacun a rebâti autour de lui et en lui un monde plus harmonieux, et surtout plus fraternel. Un monde renversé sans violence, qui trouve son équilibre en ayant renoncé à durer toujours, nous dit-on. L’histoire se déploie sans doute dans le futur, mais ce sont des pans entiers de notre époque qui surgissent au fil de pages où apparaît un Japon médiéval avec ses clans guerriers. Shakudo, la compagne de Ryoshu, confectionne à la main des livres illustrés pour enfants qu’elle leur lit sur le pas de leurs portes. Affirmant que si l’on veut écrire de bonnes histoires pour les enfants, il vaut mieux ne pas en avoir eu soi-même, ou plutôt, « ne pas avoir eu à apprivoiser des enfants », cette femme digne et droite réaffirme la puissance de la littérature pour dire le monde, l’inventer aussi, sachant que pour David Bosc, tout roman est une utopie.

Retour du narrateur sur les paysages de son enfance

Pourtant, un jour, Ryoshu se met en marche pour aller revoir les paysages de son enfance. De sentier en sentier, gravissant les collines, affluent des souvenirs. Les pages s’apparentent alors ici à celles du Julien Gracq des Carnets du grand chemin, voire même, dans la manière dont David Bosc évoque les rumeurs de guerre, au chef-d’œuvre Le Rivage des Syrtes, où la notion d’attente est si forte. Dans son périple à la fois pèlerinage et introspection, Ryoshu croisera des êtres souvent mystérieux dont il se rapprochera par l’art du conte. Ainsi fait-il la connaissance d’Akamatsu, grand lecteur ne possédant dans sa bibliothèque que quelques livres essentiels appris par cœur et qui l’aident à vivre. L’écriture de David Bosc laisse une large part à la phrase poétique ; rien n’est tranché, avec des paragraphes stupéfiants de beauté évoquant l’éternelle crainte des hommes. De beaux portraits de femmes jalonnent la route du narrateur. Un livre surprenant, qui malmène toute la logique d’expression occidentale et qui se rapprochant des grands textes japonais, finit par envoûter et même rendre heureux. Le dernier mot de ce récit habité n’est-il pas le verbe « Sourire » ?