Initiales magazine, décembre 2022, par Philippe Fusaro (Librairie L’Oiseau siffleur, Valence)

Il y a quelque chose du Grand Marin de Catherine Poulain dans l’héroïne de Boulder , le nouveau roman de l’écrivaine catalane Eva Baltasar. Si ce n’est que le décor change d’hémisphère. Nous sommes dans le grand Sud, près des côtes chiliennes. Une femme a enfin su trouver sa place au milieu des hommes sur des navires marchands et elle ne se ménage pas. Elle cuisine pour eux, fume avec eux, boit avec eux. Elle est leur égale. Une vie de marin mais qui ne cherche pas à être plus sociable que cela. Si le moral peine à surfer sur la vague, elle s’éloigne de ses camarades. Elle leur préfère la solitude de sa cabine et l’océan derrière son hublot. « C’est ce que je suis venue chercher ici, le zéro originel », écrit Eva.

De temps en temps, elle rentre au port, retrouve le confort d’une chambre qu’elle partage avec une femme de hasard. Jusqu’à cette rencontre improbable, sensuelle avec Samsa, une fille venue du froid qui fond la glace. Qui brise le roc dans lequel elle s’isole du monde, s’en protège. Samsa l’appelle Boulder, et pour cause. Notre héroïne est prête à tout, elle affronte les vents contraires. Elle quitte le navire, le grand large pour suivre son amoureuse et s’établir en Islande. Samsa veut porter un enfant. La navigatrice accepte, elle va aider, être celle qu’elle ne désire pas, celle qu’on ne désire plus, autant de failles dans ce rocher qui vont continuer de fissurer son être. Mais elle n’aura pas parcouru tout ce chemin pour éclater tout simplement. Il prendra, qui sait, une nouvelle voie.

Ce qui frappe dans Boulder, outre cette héroïne qui tangue et nous emballe, outre ces paysages de mer et de glace, pierreux, c’est la langue d’Eva Baltasar qui a puisé sa source dans la poésie et qu’a su si bien traduire Annie Bats. Une langue crue et franche, mais riche en images déroutantes, mais qui percutent parce que c’est si juste. Si profond.