Études, avril 2023, par Agnès Mannooretonil
C’est un homme qui se tient au bord d’un « trou que personne ne soupçonne ». Il y eut un petit garçon élevé par sa grand-mère. Dans la tombe de « mémé » est resté l’enfant de cinq ans, sa tristesse mais aussi la mémoire de sa tristesse. Lire ce livre, c’est accepter de laisser pendre ses jambes dans ce vide, assis à côté de l’écrivain au bord de lui-même, comme en prière. Si Patrick Autréaux emploie ce mot « trou », avec ce qu’il suggère de réalités physiologiques, sexuelles, triviales, c’est précisément qu’il est un écrivain dont la très grande délicatesse se méfie des mots. Parler « d’abîme » devant le mystère de la mort, ce serait prendre un acompte malhonnête sur l’infini qui se dérobe. Aussi avance-t-on dans le paysage brumeux de sa mémoire à tâtons, mais avec la certitude de n’être pas floué. C’est alors que Thérèse – la petite – s’invite dans le voyage, mais une Thérèse « décanonisée », sans « fadasserie », Thérèse sans sainteté, ni foi ni miséricorde, Thérèse orpheline qui n’a pas guéri la grand-mère mais qui était déjà là, assise au bord du trou : « C’est toi qui étais là, toi et tout ce qu’il y a en toi de la foi trahie qui résiste encore. » Pris dans l’écriture d’un non-croyant résolu à l’incertitude, les mots de la foi tremblent : quel élargissement intime se fait alors ! « Pauvreté intérieure », « abandon » et « ténèbres », « visage de l’amour » prennent un sens autre. Ce n’est pas qu’ils soient « enfin épurés » d’encombrantes références chrétiennes ou qu’ils renvoient à une sanctification de l’écrivain en « saint Autréaux, ancien médecin et martyr ». C’est qu’ils prennent chair dans cette étrange amitié entre deux enfants disparus et dans la vocation d’un écrivain qui, constatant « qu’écrire [touche] l’autre », se demande si la sainteté ne serait pas dans « cette tension vers l’invisible visage et la joie d’atteindre une zone de commune vérité ».