L’Ours, mars 2023, par Robert Chapuis
Regarder la vie avec Comolli
Les dernières images de Jean-Louis Comolli (1941-2022).
Le septième art, comme les autres, a ses critiques. Né en 1941 à ce qui s’appelait alors Philippeville en Algérie, Jean-Louis Comolli a été l’un d’entre eux. S’il dirige en un temps Les Cahiers du cinéma, il se singularise par une démarche qui unit étroitement technique et engagement social. Réalisateur de nombreux documentaires et de quelques longs métrages, il a animé à la fin de sa vie les rencontres de Lagrasse en complicité avec l’historien Patrick Boucheron.
Après une vie consacrée au cinéma, il a voulu donner place aux mots. À travers deux petits ouvrages, il évoque les différentes phases de sa vie personnelle et professionnelle. Le cycle autobiographique s’achève avec ce troisième ouvrage qui, au soir de sa vie, est aussi une réflexion sur le regard qui donne sens à l’image. Comme Philippe Lançon dans Le Lambeau, il nous fait partager sa souffrance, à la différence que le cancer l’emportera en mai 2022 deux mois après avoir écrits les derniers mots « en attendant les beaux jours ». Lire ce livre, c’est lui rendre hommage, mais c’est surtout profiter de sa large culture cinématographique pour réfléchir aux vertus et aux risques de l’image. Surtout en un temps où elle se déverse à profusion. On le voit pour l’Ukraine, l’image peut servir à la compréhension ou au mensonge. Le cinéma est largement affaire de montage, mais les réseaux sociaux, en fournissant une matière à l’état brut, renvoient la responsabilité à celui qui regarde, qu’il se sente complice, victime ou coupable. Il revient alors à une responsabilité collective d’encadrer la production d’images dans la double sauvegarde de la liberté et de la vérité.
En accompagnant Comolli dans ses derniers instants, nous découvrons comment le cinéaste peut nous faire apercevoir la réalité à travers l’illusion. C’est le propre de l’art d’être une création, mais le grand art est avant une révélation. Il nous fait pénétrer dans les profondeurs de l’humanité. Le vécu se révèle à nous par l’imagination. Il comporte aussi sa part de rêve dans l’espoir que viendront « les beaux jours ».