Le Soir, 10 novembre 2023, par Jean-Claude Vantroyen
Marcher, c’est écrire
Marcher est une autre façon d’écrire », dit Antoine Wauters dans Le Plus Court Chemin (Verdier), qui vient d’être consacré prix Victor-Rossel de littérature 2023. Il ajoute : « Il y a des mondes passés sous chaque pas. Sédiments. Vestiges. Voix. On marche pour entendre ce qu’il y a devant soi. » Les écrivains aiment marcher. Michel Lambert fait sa dizaine de kilomètres par jour dans le Brabant wallon, Éric-Emmanuel Schmitt promène longuement son chien dans la campagne hennuyère, Sylvain Tesson parcourt le monde à pied, Henry Thoreau avait besoin de se promener au moins quatre heures par jour dans les bois, Rousseau ne cessait de se promener, Aragon arpentait les Buttes-Chaumont, Charles Dickens parcourait Londres pour se nourrir de ses odeurs, de ses couleurs, de ses bruits, et Arthur Rimbaud était le poète aux semelles de vent, lui qui avait rallié Charleville à Paris à pied. La marche comme libération de la technologie, comme retour à la nature, comme moyen de laisser aller sa pensée au gré du temps, des chemins, des arbres, des herbes, de la terre ou de l’asphalte. Marcher pour se ressourcer. Marcher pour méditer. Marcher pour inventer, imaginer. Marcher pour vagabonder sur les sentiers et dans la tête. « La déambulation pédestre implique une écriture. On pense en marchant », écrit Antoine de Baecque dans Une histoire de la marche (Perrin). « La marche n’est pas seulement une incitation au récit, au partage de l’aventure avec l’autre, mais elle peut être comprise, par certains auteurs, comme une scansion du corps indispensable au rythme de la narration. » Marcher pour entendre, pour être au monde, pour être soi.