Libération, 29 avril 2024, par Frédérique Fanchette
Caroline Lamarche, chant d’amitié
Dans Cher instant je te vois, la romancière et nouvelliste belge revient sur les derniers mois de la vie de Margarida.
Elle s’appelait Margarida Coelho Guia, elle était comédienne et compositrice de paysages sonores, une femme dont la porte était « toujours ouverte aux artistes de passage, aux amis, aux voisins, aux migrants ». Avec elle, la romancière et nouvelliste belge avait réalisé un documentaire radiophonique sur Verlaine, le prisonnier de Mons. Elle est morte à quarante-huit ans en 2021 et pendant sa lutte contre le cancer, tous les jours, elle a échangé avec Caroline Lamarche des messages écrits ou parlés, des enregistrements. Avec cette matière, en se faisant la mémorialiste de cette femme plus jeune qu’elle de dix-sept ans, l’autrice a écrit un long poème qui semble tenir à distance la mort. Il y a la douleur, oui, l’hôpital, mais surtout le sentiment d’être vivant arraché à chaque heure.
« Margarida Coelho Guia. / Margarida veut dire perle. / Guia signifie guide /et Coelho lapin. / Margarida ma perle, mon guide à la sagesse douce / celle d’un petit animal sauvage / attentif à la beauté du jour comme aux menaces qui rôdent », écrit la narratrice. La tendresse irrigue tout le livre et le manque aussi à la fin, quand sur la communauté d’amis pleuvent les cœurs, les photos via WhatsApp. Auparavant les deux femmes auront vécu en poésie, en s’envoyant des textes. Margarida parle d’une « poétique du vivant ». Pessoa surgit comme dans l’extrait ci-dessous par l’entremise de son hétéronyme Alberto Caeiro, Jeanne Duval est souvent nommée. La malade continuait à travailler sur un paysage sonore consacré à la compagne métisse de Baudelaire. Et le titre de ce livre nouvellement paru est tiré d’un poème de Beckett, cité en exergue.