Lettres d’Aquitaine, avril-juin 2006, par Claude Chambard
Les Yeux noirs
Quiconque les scrute un jour, les yeux noirs des toros, jamais ne les oublie. Au cœur des rêves les plus héroïques, au fond des pires cauchemars, les yeux noirs des toros ne s’oublient jamais. Torero et aficionado le savent qui les ont vus, qui y ont trouvé la vérité fondamentale du toreo et, souvent, quelque chose du sens de leur vie. Dans les yeux des toros le temps est plus que le temps, les larmes plus que des larmes, la vie plus que la vie. Olivier Deck a cette pâleur dans le regard de celui qui sait pourquoi – et de quoi il ne parle pas. Paradoxe que ce livre dès lors… Non, nous ne saurons rien de ces yeux noirs que l’auteur en torero a croisés – et la tauromachie est un art où, justement, il faut se « croiser » –, mais nous apprendrons quelques éléments fondamentaux de la vie – et de la vie de l’âme de quelques-uns du mundillo, ce petit monde où se mêlent et s’entrecroisent matadors, peones, aficionados et vividores.
Prenez Paco l’aficionado virtuel, prenez Miguel le guitariste, prenez Juan – aux yeux noirs – plus noirs peut-être que ceux des toros – d’être aveugle et de savoir, prenez Pepito, et sa promesse d’amour, prenez Timbales, le concierge, prenez Esteban « el Flaco » le picador, prenez Alvaro le père et Felipe le fils, prenez Mademoiselle Begoña, Pablo et Curro, prenez Tito et Celedonio, prenez-les tous, un par un, ou ensemble, aucun, sans doute, n’a la vie qu’il avait rêvée, tous ont un rêve de vie qui les fait au-delà du rêve et de la vie, dans le monde idéalement inspiré des yeux noirs de la tragédie, de l’art, de l’inspiration, de l’amour et de la mort. Tous ces portraits qu’Olivier Deck trace, sont ceux de chacun de nous face à la beauté et à la misère du monde. Un monde de chant et de douleur, un monde de grandeur et de larmes, le monde tout simplement avec cette passion en plus, la tauromachie qui est un sentiment, un chant et un vertige. Ce monde, Olivier Deck nous en donne des morceaux en partage et il faut l’en remercier, tant cette façon d’offrir une part d’essentiel est rare.