Librairie Le Temps d’un Livre, septembre 2024, par Yann Courtiau
Ce récit d’un voyage différé sur les traces d’Ovide – l’exilé par excellence –, fait écho aux mots de Starobinski qui (dans la Nuit de Troie) écrivait que l’exil était : « l’ouverture simultanée sur un passé remémoré et sur un futur où l’action va se porter. » Avec le confinement, Béatrice Commengé va faire l’expérience d’une forme nouvelle d’exil intérieur. Ainsi, recluse, elle imagine son voyage et, à défaut d’espaces et de routes, plonge dans le passé de l’auteur des Métamorphoses, lui-même chassé de Rome à cause de ses écrits licencieux. Assigné à résidence dans la ville de Tomis, en Scythie mineure – l’actuelle Constanța, en Roumanie –, Ovide y écrit des poèmes de lamentations et de nostalgie (les Tristes et les Pontiques) et vit son exil comme un assassinat. Dans L’Art d’aimer, le poète raconte comment faire durer la passion ; c’est au tour de Béatrice Commengé de prolonger la fièvre et le désir puisqu’au fur et à mesure que les frontières s’ouvrent à nouveau, l’autrice tente de prendre la route aux côtés d’Ovide, étirant le temps, ralentissant ce périple qui devient long et sinueux, se remémorant ses premiers voyages en Italie, passant par mille et un détours géographiques comme pour mieux retarder son arrivée sur cette île de tous les fantasmes. Récit littéraire et de voyage autant que biographique, d’une douceur inouïe, Ne jamais arriver rappelle en nous que le livre est peut-être, avant tout, un désir de solitude et de calme bienvenu. Merveille.