Libération, 18 juin 2009, par Jacques Durand
Souvenirs d’un presque torero
L’apprentissage en Espagne du Français François Garcia.
Paco Lorca, son nom de novillero, est français. II étudie le droit à Bordeaux et bûche sa gauche à Alcor, Puente de la Reina, San Roque del Monte. Enfin quand il peut, là où il peut, là où les promesses, rarement tenues, d’avoir une bonne vache neuve on un bon novillo le mènent. Une bonne vache neuve, du bon bétail, pour l’apprenti torero qu’il est, c’est juste bon pour en rêver au volant de sa 4L En droit pénal il se débrouille bien puisqu’il passe ses examens de fin d’année sans avoir vraiment suivi les cours. Normal, il cavale en Espagne. Celle des années 1970. Pink Floyd, café granizado, agonie du franquisme, cafétéria Kilimanjaro à Madrid, Johan Cruyff au Barça et Suzanne de Leonard Cohen. Ce qu’il poursuit, la drogue de toréer, le rapproche de lui-même et l’éloigne des siens : sa fiancée Hélène par exemple, qui finit par pencher vers Tommy, peintre conceptuel.
Robe rouge. Paco Lorca se rapproche de lui-même en se perdant dans les toros. C’est et ce n’est pas une perte. La ferveur de toréer, « l’esprit de conquête », le maintiennent droit dans son existence jusqu’aux pages 251 et 327. Page 251 il a, à Madrid, rencontré Inès : brune, robe rouge, désir d’elle à la place de celui du toro. Début de la lézarde : « Le torero en moi s’affaiblissait ». Page 327, à San Pedro de la Sierra, un gros novillo le lui confirme. Il n’est pas fait finalement pour ça. Il lui signale que ce rêve, être torero, comme l’adolescence, c’est fini.
Dur et persistant et tenace, le rêve : un bagne parfois. Des kilomètres de mauvaises routes, des kilomètres d’embrouilles, des kilomètres de déceptions, des kilomètres de salive à parler toros, des kilomètres de faenas construites dans le demi-sommeil d’une bagnole et au milieu, un bon quite par chicuelinas a Albal, par exemple. Avant de se faire casser la main à Logroño, de connaître une déroute à Picassent ou de se faire percer la cuisse dans un mauvais bled d’ivrognes. Mais au sanatorium des toreros à Madrid, il a croisé, allongé sur une civière, exactement comme lui, Angel Teruel lui-même. Ceci vaut presque cela, même si le chirurgien n’a d’yeux que pour Teruel.
Radiateurs. Avec Bleu ciel et or, cravate noire, François Garcia dit avoir écrit un roman. Certainement. Navigant à vue dans le mundillo des toros, mais dans sa cale, là où les apoderados sont aussi marchands de radiateurs, Paco Lorca fait parfois penser à un Bardamu au pays des bocadillos. Le roman vaut par son écriture subtile, ses phrases qui courent la main, aussi par la précision et la minutie de ce qu’il chronique. L’auteur, maintenant médecin, a vécu cette aventure et ces aventures. Il a voulu devenir torero, a toréé et il fait remonter avec un luxe de détails et le sens stendhalien du « petit fait vrai » l’Espagne de cette époque. Les camions Pegaso dont le feu arrière vous dit ou pas de doubler, le personnage du sereno avec ses clefs, les claquements d’omoplates hypocritement baptisés « abrazos », la canicule à Serra, le Madrid taurin de la plaza Santa Ana, le Bilbao d’avant le Guggenheim, les Espagnols qui filent à Perpignan voir Marlon Brando sodomiser Maria Schneider dans Le Dernier Tango à Paris, les Fiat 600.
Chewing-gum. De temps en temps, par miracle, il y croise les étoiles : elles daignent vous jeter un regard. Niño de la Capea. Manolo Chopera, Domingo Ortega, Paco Camino, El Viti. José Falcón meurt à Barcelone, Antonio José Galán se jette sur les toros sans sa muleta, et Palomo Linares confirme son alternative, page 207. Au passage, François Garcia règle, avec humour, de petits comptes. Avec un fameux critique français, peu à l’abri sous son surnom romanesque : Tio Fine. Pedrín, compagnon d’aventures de Paco Lorca, lui, marche bien. Puis prend l’alternative et un terrible coup de corne.
Avec deux photos de lui en torero comme vestiges de son errance, Paco Lorca rentre en France et dans le conforme. Sans sa 4L. Comme son aventure, elle est morte en chemin. Dans le train qui le ramène vers Bordeaux, il voit poindre la nouvelle Espagne : une jeune Espagnole, encore gênée, qui mâche du chewing-gum en tirant sur sa minijupe. Petite précision : ce n’est ni un roman amer, ni un roman de l’échec.