Études, janvier 2025, par Nicole Bary
Comme dans la plupart de ses livres, Josef Winkler place au centre de son récit, Le Champ, sa relation conflictuelle avec son père, son village natal en Carinthie et son pays l’Autriche. Il y a quelques années, l’auteur a découvert qu’un criminel de masse, Odilo Globocnik (1904-1945), natif de Carinthie comme lui, responsable de l’« Aktion Reinhardt » qui a coûté la vie à deux millions de Juifs, ce dont il se vantait, a été enterré dans le pré communal cultivé par les fermiers du coin, dont la famille Winkler. Le village, taiseux, s’est enfoncé dans le silence. Dans de longues phrases incantatoires, pleines de rage contenue, Winkler crie à la face de son père défunt son incompréhension, son désespoir, sa colère. Winkler, à qui le prix Kafka vient d’être décerné en Autriche, écrit sa « Lettre au père », une lettre accusatrice, dénonciatrice, mais aussi pleine d’un amour ambigu pour ce père qui – par mensonge ou par omission ? – s’est rendu coupable d’un double crime, celui d’avoir nourri ses enfants avec les céréales empoisonnées par le cadavre pourrissant dans le champ communal et celui de leur avoir tu la vérité. En contrepoint au lamento de Winkler, chaque chapitre est introduit par des vers de la poétesse yiddishophone Rajzel Żychlińsky (1910-2001), rappelant ainsi l’arrière-plan historique du récit, l’assassinat des Juifs. La belle écriture de Winkler est admirablement servie par la traduction de Bernard Banoun.