Le Courrier de l’Ouest, 10 janvier 2025, par Frédérique Bréhaut
Les voyages naissent des livres
Naviguer avec Olivier Rolin promet un éblouissement à chaque page.
Connaître l’historien grec Thucydide (460-400 av. J.-C.) peut mener loin. Par exemple vers un archipel de l’océan Indien. En guise de remerciements à une préface à La Guerre du Péloponnèse pour les éditions de l’École de guerre, Olivier Rolin a été invité à rejoindre le Champlain, petit bâtiment de la Marine nationale destiné à ravitailler le temps d’une boucle autour de Madagascar les microgarnisons éparpillées dans le canal du Mozambique. Une parenthèse de quatre semaines durant laquelle il s’émerveille des beautés de la nature, découvre les usages du bord et raille son état de septuagénaire incongru parmi un équipage très jeune.
Vers les garnisons du bout du monde
Le domaine des Terres australes et antarctiques françaises recèle des trésors insoupçonnés. Qui connaît l’existence des îles Éparses, poussières océanes de possessions françaises héritées d’un vieil empire colonial ? Au mieux on situe Tromelin, théâtre tragique au dix-huitième siècle d’un naufrage resté gravé dans les annales des infortunes de mer. Embarqué à Durban en Afrique du Sud, Olivier Rolin découvre la vie monotone du bord, observateur amusé des exercices rituels qui simulent des situations périlleuses. Seul pékin du navire de guerre, il veille à respecter la distance courtoise affichée par le commandant et note le poids des ans qui le séparent de compagnons de bord en âge d’être ses petits-enfants. « L’océan Indien sera pour moi la mer de la Sénilité », ironise-t-il. Cependant, si l’autodérision pointe l’implacable passage du temps, les capacités d’éblouissement de l’écrivain ne sont en rien émoussées. Les escales à Europa ou Juan de Nora, confettis où de minuscules garnisons de bout du monde évoquent un Désert des Tartares des tropiques, lui offrent en pagaille « fantasmagories à écailles », cohortes de bernard-l’hermite gros comme le poing aux yeux en clous de girofle, crabes vert amande aigrettés d’orange, beautés insolites généreuses en enchantements de premier jour. On apprend que les dugongs barbarouflent et l’on croit voir cet horizon peint comme un Rothko, feuilleté de couleurs en bandes horizontales.
Et si l’admirateur de Conrad regrette que le Champlain prudent contourne un typhon, « désir irresponsable nullement partagé par le commandant dont le boulot n’est pas de donner des émotions à un vieil écrivain », des émois moins périlleux naissent devant les merveilles d’une nature préservée. Styliste à la plume légère, curieuse, rieuse souvent, Olivier Rolin a le pouvoir de transformer en passager clandestin ravi le lecteur dont les probabilités de naviguer à bord d’un bâtiment de guerre sont équivalentes à celles d’accoster un jour aux îles Éparses. Les voyages commencent dans les livres, c’est bien connu. Afin de prolonger le plaisir, les éditions Verdier publient également la version poche de Sept villes, portraits de villes littéraires « où rien n’a changé depuis qu’on n’y est jamais allé ».