Le Parisien, 24 janvier 2025, par Pierre Vavasseur
Certains livres, longs et touffus, se lisent sans rien escamoter et, de manière surprenante au regard de leur densité, finalement plutôt vite. Et puis, il y en a d’autres qui ne dépassent même pas 100 pages, et dont on s’obstine à ralentir la lecture. Ces écrits-là sont des trésors. Ils ne cessent, page après page, de diffuser en nous ce que l’on attend d’un récit : qu’il nous emmène en voyage. Très loin – « à dache », comme disait mon père – ou au plus près de cette île méconnue, où nous ne sommes jamais sûrs d’accoster un jour : notre âme. C’est un peu quelle chance ! – ce que parvient à faire Olivier Rolin dans Vers les îles Éparses. De janvier à février 2022, il lui a été permis on lira pourquoi, et c’est aussi inattendu qu’amusant – d’embarquer sur le Champlain, modeste bâtiment de la Marine nationale chargé de ravitailler dans l’océan Indien une poignée de possessions françaises autour de Madagascar. En matière d’équipées nautiques, Rolin a toujours été un homme du large. Son œuvre en témoigne. Il sait décrire les ondoiements de la mer en robe des grands soirs, l’éblouissement que suscite une faune exotique et mystérieuse dans les profondeurs des abysses. Tout est, sous sa plume – un mot qui désigne aussi la proue secouée par le mauvais temps –, nimbé d’un émerveillement si neuf qu’il avoue ne plus savoir traduire « la couleur irradiante de la mer ». Nommer au plus juste, comme s’y essaya Rimbaud, ses variations de bleu avant qu’elles ne se dissolvent en un trait de khôl, comme « pour retenir la lumière ». L’océan aussi a ses trous noirs. Tout n’est qu’humilité dans ce texte superbe, illustré, de la main de l’auteur, de croquis aux crayons de couleurs. On s’y nourrit du lexique marin comme de plancton. On y fait gaffe à ne pas se casser la margoulette dans les raides escaliers du bateau, qu’on nomme « échappées ». On y frémit à la vue de cauchemardesques bestioles, qui vous guettent pour vous empoisonner ou vous boulotter. Embarquez Vers les îles Éparses, écrit à hauteur d’homme, rude et salutaire coup de balai à l’idée finalement très sommaire que nous nous faisons de la beauté.