La Libre Belgique, 7 février 2025, par Guy Duplat
Olivier Rolin nous offre un délicieux petit livre de voyage vers un lieu où vous n’irez jamais : les îles Éparses, confettis de la France, vestige de l’époque coloniale, au large de Madagascar, îles de quelques kilomètres carrés habitées par les seuls oiseaux et animaux marins.
Olivier Rolin, né en 1947, est le frère de Jean Rolin, né deux ans plus tard. Tous les deux sont des écrivains voyageurs. Jean Rolin vient de publier une livre très émouvant, Tous passaient sans effroi (chez P.O.L), dans lequel il arpente et raconte le Chemin de la liberté, ce passage à travers les Pyrénées par lequel purent s’échapper des nazis, 33 000 évadés de France.
Olivier Rolin est l’écrivain de Port-Soudan (1994), de Tigre en papier (2003) ou encore du merveilleux Le Météorologue (2014) pour lequel il s’était rendu dans les solitudes glacées de Sibérie. Ce livre-ci est le fruit d’un voyage que lui a proposé l’armée française. Il relève que le fait est assez piquant qu’il ait reçu une telle proposition, lui qui, dans sa jeunesse, fut membre dirigeant de la maoïste Gauche prolétarienne.
Ce séjour de quatre semaines dans l’océan Indien sur un bateau militaire, le Champlain, était un remerciement pour une préface qu’il avait écrite à La Guerre du Péloponnèse de Thucydide publiée par les Éditions de l’Armée.
Ces îlots coralliens sont stratégiquement placés au milieu du canal de Mozambique. Il y en a cinq : Europa, Juan de Nova, Glorieuses, Tromelin et, submergée à marée haute, l’atoll de Bassas da India.
À part une escale à Durban, en Afrique du Sud, Olivier Rolin a partagé la vie à bord avec une vingtaine de marins avec qui il a vite sympathisé. Même s’il remarque le fossé entre lui et les “jeunes” autour de lui : « Cette croisière, écrit-il, marque vraiment pour moi un passage dans ma vie, ce n’est pas seulement vers les îles Éparses que je navigue mais vers l’état déplorable, fragile et un peu ridicule de vieux (pas vieillard, qui est un stade intérieur de la dégradation). Jamais je n’ai éprouvé à ce point que je faisais désormais partie d’un autre monde. Habitué qu’on est à soi-même et son apparence, on ne s’est pas vu transformer en cet être de papier mâché en qui les autres qui ne vous connaissent pas, identifient immédiatement un semi-vivant. L’océan Indien sera pour moi la mer de la Sénilité… Parfois je m’en amuse, mais pas toujours. »
Avec son écriture magnifique et des envolées rimbaldiennes, il nous montre ces îles colorées où le bateau fait brièvement escale pour ravitailler les gendarmes, seuls habitants. Il écrit ainsi : « On est repartis, roulant beaucoup, labourant l’outremer, soulevant gerbes et voiles d’écume et fugaces arcs-en-ciel, escortés par un fou à bec azuré qui plonge de temps en temps sur un poisson volant. » « La mer, infinité de frisures sombres dans le mauve, le bateau se déhanche un peu. » Olivier Rolin raconte avec humour et sympathie cette vie commune avec des soldats, se retranchant de temps en temps dans la lecture, par exemple de Lord Jim de Conrad.
Toute une page est consacrée à tenter d’exprimer la couleur « bleue » qui baigne le paysage. « Les mots, dit-il, on a beau les aimer, essayer de les connaître tous, en inventer même, parfois, il arrive qu’on se désespère de leur impuissance à dire les choses. »
Mais des mots qui réussissent à nous emporter joliment loin des fracas du monde.