La Marseillaise, 30 janvier 2012, par Marie-José Latorre
Dialogues croisés de l’inscrit à l’écrit
Après le très beau Sens de la marche, Alain Montcouquiol reprend le fil de ses souvenirs.
« J’ai allumé un souvenir et lentement je l’ai fumé. »
Cette « ranchera » mexicaine est des plus justes pour illustrer cette manière très spéciale, ce style si pénétré que déploie Alain Montcouquiol pour resserrer chaque fois en quelques lignes, quelques pages tout au plus, récits et anecdotes très apparentés pour la plupart au genre de la nouvelle. Une entrée qui, sans y toucher, de la manière la plus naturelle, la plus anodine, va amener le lecteur sur des sentiers, des parcours parfois improbables sinon terriblement escarpés. Plus dure sera la chute pourrait-on dire et il est vrai que le couperet du verbe peut trancher le silence à 7 heures du matin dans un bar ou qu’au cours d’une fête un oiseau pourtant de bon augure peut crever l’œil d’un aficionado lors d’une passe de cape. Mais tout n’est pas tragique dans ce Fumeur de souvenirs. Il y a entre les nuits où les rêves de sang et de mort envahissent le sommeil, des moments d’humour, de drôlerie et de cocasserie, de distance spéculaire, notamment lorsque l’auteur souligne cette myopie dont il s’accommode finalement plutôt bien.
« L’émotion est une intuition de l’absolu »
Alain Montcouquiol cite cette phrase de Sartre pour illustrer son regret de ne pas pouvoir retenir l’expression en une « longue phrase éblouissante » prononcée par Ordoñez, ce « lien entre ces toreros, les célèbres et les inconnus ; les morts et les vivants, ceux d’aujourd’hui et ceux qui viendraient ». Il se trouve et c’est un bonheur, que dans cette faena de mots traversée de peurs, de violence parfois contournées, d’amitiés et d’amour assumés, l’auteur construit en quelques dizaines de textes ce liant qui articule sans heurter un paysage de campagne à des dauphins de la Maestranza et relie avec cette élégance poétique rare la pleine lune et une étoile à des emblématiques trèfles à quatre feuilles.